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Boualem Sansal, écrivain dissident symbole des fractures franco-algériennes

Écrivain dissident admirateur de Camus et Orwell, polémiste révéré par les droites françaises, le romancier Boualem Sansal, gracié mercredi après un an en détention dans son pays natal, est devenu un visage...

Boualem Sansal le 17 août 2015 à Boumerdes, en Algérie © FAROUK BATICHE
Boualem Sansal le 17 août 2015 à Boumerdes, en Algérie © FAROUK BATICHE

Écrivain dissident admirateur de Camus et Orwell, polémiste révéré par les droites françaises, le romancier Boualem Sansal, gracié mercredi après un an en détention dans son pays natal, est devenu un visage marquant des fractures entre Paris et Alger.

La vie de cet ex-fonctionnaire algérien octogénaire bascule le 16 novembre 2024 quand il est arrêté à son arrivée à Alger en provenance de Paris, avant d'être emprisonné.

Son sort émeut aussitôt en France où une campagne se lance en faveur de cet auteur franco-algérien, athée revendiqué, adversaire acharné des jihadistes et critique féroce du pouvoir à Alger.

Malgré ces soutiens, Boualem Sansal sera condamné à cinq ans de prison, accusé d'"atteinte à l'unité nationale" après des déclarations en octobre 2024 au média français d'extrême droite Frontières, où il estimait que l'Algérie avait hérité sous la colonisation française de régions comme Oran et Mascara, appartenant précédemment, selon lui, au Maroc.

"Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi il était emprisonné", a déclaré mercredi à l'AFP sa fille Sabeha après l'annonce de sa grâce en Algérie. "Il est malade, il est vieux, il pouvait mourir là-bas". 

Disgrâce

La condamnation de Boualem Sansal avait aggravé les tensions entre la France et l'Algérie et confirmé sa disgrâce dans son pays natal, débutée il y a de longues années. 

Dès 1999, son entrée en littérature avec "Le Serment des barbares" le voit relater l'influence des intégristes en Algérie dans une société où règneraient violence et corruption. 

En 2003, ses prises de position contre le pouvoir algérien et contre l'arabisation de l'enseignement sont mal accueillies dans son pays natal, où il est peu connu du grand public.

Un autre de ses romans, "Le Village de l'Allemand", est même censuré en Algérie car il dresse un parallèle entre islamisme et nazisme.

En revanche, en France, "Rue Darwin" lui vaut le Prix du roman arabe en 2012 et l'Académie française lui décerne en 2015 le Grand Prix du roman pour "2084". S'inspirant du chef-d'œuvre de George Orwell "1984", il y décrit la montée de l'islamisme en Abistan, pays imaginaire où on doit prier neuf fois par jour.

Encore très récemment, il a reçu en France le prix Renaudot poche pour "Vivre".

L'une des lectures préférées de cet auteur de 81 ans est Albert Camus, avec qui il partage des racines algéroises. "Le hasard de la vie, c'est que, quand j'étais gamin, j'habitais son quartier (...) Je voyais sa maman. C'était mon premier écrivain, le premier que j'ai lu", expliquait-il en 2010 au quotidien l'Humanité.

Affirmant qu'il est né en 1949, Boualem Sansal s'est en fait retranché cinq ans par coquetterie, selon son éditeur Antoine Gallimard.

Sphères du pouvoir

Il a donc 18 ans quand l'Algérie devient indépendante, en 1962. Formé à Polytechnique à Alger, docteur en économie, il participe à la construction du jeune État et il devient haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie.

"C'est un homme qui a été dans les hautes sphères du pouvoir algérien", rappelle l'écrivain franco-algérien Kamel Bencheikh, qui a plusieurs fois appelé à la libération de son "ami".

Un autre de ses confrères, Kamel Daoud, prix Goncourt 2024, a aussi pris fait et cause pour lui. "Boualem Sansal, c'est un Franco-Algérien, un lien vivant entre les deux pays. Si on l'emprisonne, c'est aussi pour punir ce lien", a-t-il estimé début novembre sur Radio Classique.

Dans son pays natal, l'auteur est très critiqué dans les milieux intellectuels, considéré comme aligné sur les positions de l'extrême droite française sur l'immigration ou l'islam, et les revendications du Maroc, grand rival régional.

Boualem Sansal n'a par ailleurs jamais hésité à froisser le pouvoir algérien qui, selon ses déclarations au Figaro en 2019, "dispose de tous les moyens et d'abord de la détermination pour abattre quiconque approcherait la ligne rouge".

En octobre 2024, Boualem Sansal va plus loin en remettant en cause la vision de l'Histoire promue par le pouvoir algérien. 

Quand une question lui est posée sur le Maroc, pays d'origine de son père et celui avec lequel la France vient de se rapprocher, il répond : "La France n'a pas colonisé le Maroc, pourquoi? Mais parce que c'est un grand État. C'est facile de coloniser des petits trucs qui n'ont pas d'histoire".

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