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A Avranches, la galère de la rénovation thermique du "patrimoine remarquable"

Maisons en granit, fenêtres à six carreaux, persiennes blanches et toits en ardoise, l'uniformité des rues d'Avranches (Manche), est soignée, protégée par des règles de préservation du patrimoine avec lesquelles les propriétaires doivent ferrailler pour...

Le centre-ville d'Avranches, dans la Manche, le 2 août 2006 © MYCHELE DANIAU
Le centre-ville d'Avranches, dans la Manche, le 2 août 2006 © MYCHELE DANIAU

Maisons en granit, fenêtres à six carreaux, persiennes blanches et toits en ardoise, l'uniformité des rues d'Avranches (Manche), est soignée, protégée par des règles de préservation du patrimoine avec lesquelles les propriétaires doivent ferrailler pour tout projet de rénovation, y compris thermique. 

A une vingtaine de kilomètres du Mont Saint-Michel, classé au patrimoine mondial de l'Unesco, le centre-ville d'Avranches est en pleine opération de revitalisation pour ramener des activités.

Mais rénover un immeuble du 19e siècle à 100 mètres de la basilique Saint-Gervais d'Avranches est coûteux, Aline Duguet en sait quelque chose. Un enduit à la chaux lui a été imposé sur deux façades de son immeuble, ainsi qu'une entrée en bardage bois surmontée d'un toit en zinc marron, explique la propriétaire, 54 ans. Soit une dizaine de milliers d'euros supplémentaires, liés aux recommandations des Architectes des bâtiments de France (ABF), chargés par le ministère de la Culture de protéger le patrimoine.

A 100 mètres, la rénovation de l'immeuble d'une ancienne boucherie fondée en 1945, avec la création de cinq logements, n'a pu se lancer que grâce à une aide financière substantielle de la mairie.

Isolation des murs, des planchers, de la toiture, changement du système de chauffage, installation d'une ventilation, le bâtiment devrait passer d'une note G (très énergivore) au diagnostic de performance énergétique à B.

Pour l'intérieur de l'ancien commerce et des trois logements pré-existants, le propriétaire, Claude Nouet, est libre. 

Mais l'extérieur doit rester le plus possible identique au passé, ce que contrôlent les ABF et la mairie, qui appliquent des règles de préservation du patrimoine sur tous les bâtiments situés à moins de 500 mètres d'un monument historique - ici, la basilique. 

Bois et chaux

Un tiers des logements en France sont ainsi concernés par ces contraintes qui visent à préserver l'esthétique des villes et villages à la française. Jusqu'à  89% à Nancy ou 94% à Paris, selon un rapport sénatorial.

"Encore beaucoup trop de projets sont stoppés ou freinés" par les ABF, critique Dan Lert, adjoint à la maire de Paris.

A Avranches, chez M. Nouet, la disparition de la vitrine de la boucherie laissera place à des fenêtres de même taille et alignées avec les autres ouvertures de la façade, entourées d'un bardage en bois. 

Ailleurs en France, il arrive que les ABF refusent la pose de volets, de panneaux solaires et imposent des matériaux traditionnels (zinc, bois, etc.).  

Avranches ne veut "pas appliquer des règles bêtes et méchantes" et essaie d'être souple : "Nous ne sommes pas absolument anti-PVC ou aluminium" pour les fenêtres, explique le maire David Nicolas qui cherche "une réponse adaptée" évitant "trop de dissonance". 

Plus chères

L'enjeu est esthétique autant que technique: il faut éviter de dégrader un vieux bâtiment avec des techniques modernes.

Problème: ces exigences ne sont pas toujours compatibles avec celles de la rénovation énergétique et surtout quand il s'agit de mesurer le gain énergétique permis par des travaux, calcul dont dépend l'octroi de subventions.

"Certains matériaux, notamment isolants, ne disposaient pas de résistance technique associée", ce qui fausse le DPE, explique Clara Marchal, cheffe de projet au cabinet Urbanis, qui accompagne les propriétaires d'Avranches. Mais de plus en plus de fiches techniques sont publiées. 

Mais les préconisations ABF "coûtent quasi systématiquement plus chères", affirme-t-elle, rappelant qu'"un appartement en centre ancien s'associe nécessairement à des contraintes et des surcoûts" par rapport au neuf.

L'accumulation de contraintes bloque parfois les projets: impossibilité d'isoler la façade par l'extérieur, coût plus élevé, gain énergétique insuffisant pour obtenir des aides et même nécessiter de passer par le ministère de la Culture si le patrimoine est classé à l'Unesco, comme c'est le cas du Havre. 

"Quand on rend un avis défavorable" à des travaux, "pour nous c'est un échec, notre ADN d'architecte est de faire des projets", défend Fabien Sénéchal, président de l'association nationale des ABF, qui déplore "faire souvent figure d'épouvantail". 

Consciente des complexités créées par les multiples règles, Avranches a conçu un guide de travaux et organise des permanences mensuelles avec les ABF. Un système qui leur permet de retrouver leur "vocation de conseil aux propriétaires", se félicite le maire David Nicolas.

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