Au procès des revenantes, plongée dans la paranoïa familiale des Clain
"Atmosphère de secret", peur de la délation et non-dits : deux revenantes de Syrie ont plongé mardi la cour d'assises spéciale de Paris dans les dissensions et la paranoïa qui régnait dans le clan familial Clain...

"Atmosphère de secret", peur de la délation et non-dits : deux revenantes de Syrie ont plongé mardi la cour d'assises spéciale de Paris dans les dissensions et la paranoïa qui régnait dans le clan familial Clain comme au sein du groupe Etat islamique (EI).
Jennyfer Clain, 34 ans, et sa belle-soeur par alliance, Mayalen Duhart, 42 ans, converties et radicalisées en France, qui ont rejoint le "califat" en 2014 avec leur maris, sont sur le banc des accusés. Elles sont jugées depuis le 15 septembre aux côtés de leur belle-mère, Christine Allain, pour avoir toutes les trois appartenu au groupe EI en Syrie.
Des exactions du groupe jihadiste ou du rôle de leur époux, Mayalen et Jennyfer assurent ne pas savoir grand chose.
S'il y avait des armes à la maison, c'est parce que Kevin Gonot, mari de Jennyfer Clain, les avait reçues après avoir complété sa formation de combattant, dit-elle.
"Thomas (Collange, le conjoint de Mayalen Duhart, NDLR) compartimentait, il était paranoïaque" et ne lui disait pas grand chose de ses activités au sein de l'EI, raconte de son côté la quadragénaire à la cour, ajoutant que de toutes façons, elle et son mari ne se parlaient plus beaucoup depuis quelques années.
Elle et sa co-accusée n'étaient pas de simples recrues du groupe jihadiste: Jennyfer est la nièce de Jean-Michel et Fabien Clain, deux responsables de la propagande de l'EI présumés morts en Syrie, voix de la revendication des attentats du 13-Novembre 2015.
Au rigorisme religieux s'ajoute un fonctionnement sectaire de la famille comme de l'EI, où toute voix dissidente doit se taire, racontent les deux accusées.
Ainsi Fabien Clain va jusqu'à faire emprisonner un de ses beaux-frères qu'il soupçonnait de vouloir prendre sa place, a relaté sa nièce, qui dit avoir été en froid avec lui après cet épisode.
Et même aux enfants, on ne fournit aucune autre explication que celle de "la loi du talion" devant les vidéos de décapitations ou d'assassinat d'otages.
Arrête de penser
Quand Mayalen Duhart confie à son mari être "émue" par les attentats du 13-Novembre et ne pas comprendre pourquoi l'EI tue des gens en France qui "buvaient et écoutaient de la musique", il lui intime immédiatement de se taire.
"Arrête de penser si tu ne veux pas que ta tête se retrouve au bout d'une pique", l'a-t-il sommé à l'époque, raconte-t-elle.
Mais en Syrie, aucune ne s'interroge sur les exactions commises par l'EI, "on était tous pro-Daesh, on ne remet pas en question", reconnaît Jennyfer Clain.
Pas même quand Mayalen Duhart voit son voisin syrien à Raqqa arrêté et fouetté pour avoir simplement fumé une cigarette chez lui.
"L'ambiance était terrorisante" mais on ne questionne "rien du tout, c'est le jihad, on est là pour tuer des mécréants", raconte-t-elle.
Elle assure avoir remis en question cet "endoctrinement" depuis son retour en France en 2019 et sa remise en liberté conditionnelle il y a deux ans, dit-elle.
Quand l'EI commence à perdre du terrain en 2017 face aux offensives des forces menées par les Kurdes et soutenues par une coalition internationale, le clan part de Raqqa, cible d'intenses bombardements.
Qui, au sein de la famille, aurait voulu quitter l'EI? Impossible de le savoir, dit Jennyfer Clain, car personne n'évoque une idée de départ, personne n'ose émettre le moindre doute sur le bien-fondé des actions de l'EI, par peur d'être dénoncé par un proche.
"Il y a une atmosphère de secret, les gens vont peut-être aller répéter qu'on n'est pas d'accord, c'est compliqué de discuter de tout ça", détaille-t-elle. "Si on est pas d'accord, Daesh emprisonne, torture et tue ceux qui veulent partir."
Thomas Barnouin, vétéran du jihad et proche des frères Clain, en fera les frais, poursuit la trentenaire: arrêté par l'EI, il leur a raconté avoir été torturé en détention, un récit qui ont décidé les deux femmes à quitter l'EI en 2017.
"Là, je comprends qu'on nous a menti, ce n'est pas un Etat islamique, à l'intérieur, ce sont des tortures et des monstruosités", abonde Mayalen Duhart.
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