Cadres et IA : entre enthousiasme raisonné et besoin d’accompagnement
L’intelligence artificielle s’impose progressivement dans les pratiques professionnelles des cadres. Loin des discours alarmistes sur la destruction d’emplois, l’étude de l’Apec publiée en juin révèle un paysage en mutation, où opportunités et vigilance cohabitent. Pour les directions RH, le défi est désormais d’accompagner cette transition technologique sans fracturer les collectifs, ni laisser les cadres en apesanteur face à ces nouveaux outils.

L’étude* menée par l’Association pour l’emploi des cadres confirme une accélération de l’adoption de l’IA, notamment générative, dans les organisations. Un cadre sur trois utilise aujourd’hui des outils comme ChatGPT, Microsoft Copilot ou Gemini au moins une fois par semaine dans le cadre de son activité professionnelle. Une proportion qui grimpe même à 42 % chez les moins de 35 ans et les managers, signe que la génération montante et les fonctions de pilotage sont à l’avant-garde.
Côté entreprises, 53 % des grandes structures de plus de 250 salariés déclarent désormais encourager activement l’usage de l’IA par leurs collaborateurs, contre 30 % il y a encore un an. « L’appropriation rapide de l’IA par les cadres est une réalité », affirme Gilles Gateau, directeur général de l’Apec. Une progression spectaculaire, accompagnée de la mise en place de chartes ou bonnes pratiques dans un tiers de ces grandes entreprises – soit plus du double par rapport à juin 2024. Dans les PME, la dynamique est plus mesurée (46 % encouragent l’usage), et les TPE restent en retrait (41 %).
Des usages transparents, porteurs d’efficacité
Contrairement aux craintes d’un “shadow GPT” échappant au contrôle managérial, la majorité des cadres usagers se montrent transparents : 56 % déclarent que leur manager est informé de leur recours aux outils d’IA. Mieux, les bénéfices sont clairement identifiés : 90 % des utilisateurs réguliers estiment gagner en productivité, 82 % en qualité et 80 % en créativité. Des chiffres qui confirment que l’IA ne se substitue pas aux compétences humaines, mais les amplifie lorsqu’elle est bien maîtrisée. Un usage raisonné qui renforce l’efficacité sans sacrifier l’autonomie ni le sens du travail.
Une forte attente de formation
Malgré cet engouement, l’acculturation reste partielle. Seul un cadre sur quatre a déjà été formé à l’intelligence artificielle. Et parmi eux, 82 % souhaitent approfondir leurs connaissances. Globalement, 72 % des cadres expriment aujourd’hui le besoin d’être formés, une hausse de 12 points en un an. La demande est forte, y compris chez les plus de 55 ans (69 %).
Face à ces attentes, les directions RH ont un rôle crucial à jouer. Il s’agit d’assurer une montée en compétences rapide, mais aussi de structurer cette transformation à travers des règles d’usage, des chartes, et une réflexion éthique sur les finalités et les limites de l’IA dans l’entreprise.
Des impacts anticipés sur les métiers
Les cadres sont désormais 42 % à anticiper un fort impact de l’IA sur les métiers de l’encadrement en général, et 35 % sur leur propre métier, en progression de plus de 10 points en un an. Fait révélateur : 37 % considèrent l’IA comme une opportunité pour leur emploi, (ils étaient seulement 22 % en 2023), contre 22 % qui y voient une menace. Pour rappel, ils étaient 30 % en 2023 à percevoir l’IA comme une menace pour leur métier. Une perception globalement positive, mais encore ambivalente. Les professionnels interrogés semblent conscients que l’IA ne va pas « remplacer » les cadres, mais redessiner leurs missions : plus de tâches analytiques, moins de tâches répétitives, un recentrage sur la stratégie, le relationnel, la décision. Pour que cette mutation soit un levier de performance, encore faut-il anticiper les glissements de périmètre, éviter les effets de déqualification et accompagner les transitions métiers.
RH et dirigeants : six leviers d’action
Face à cette transition accélérée, les DRH ont un rôle structurant à jouer. L’étude de l’Apec suggère plusieurs pistes. Parmi elles, celle de déployer des formations ciblées, adaptées aux métiers et aux niveaux de responsabilité, d’adapter les référentiels de compétences pour intégrer l’IA dans les parcours professionnels. Ou encore de valoriser les expérimentations internes réussies et de capitaliser sur les retours d’expérience, aussi d’impliquer les managers comme ambassadeurs et régulateurs de ces nouveaux usages.
L’Association propose même de faire de l’IA un outil de QVT, en allégeant la charge cognitive, administrative ou rédactionnelle. Néanmoins, elle recommande, dans le même temps, d’encadrer les usages via des chartes, pour éviter les dérives et clarifier les règles. Car l’IA générative n’est plus un gadget d’initié : elle s’installe dans les usages quotidiens des cadres, à un rythme soutenu. « Face à cette dynamique, les entreprises ont un rôle clé à jouer : structurer les usages, poser un cadre clair et surtout, accompagner les équipes par des formations adaptées. Le dialogue social et professionnel sur ces usages et leurs impacts est aussi de plus en plus indispensable. C’est à ce prix que l’IA deviendra un véritable levier de performance durable, au service des compétences et de l’innovation », confirme Gilles Gateau.
* Etude Apec menée en mars 2025, auprès de 2 000 cadres et 1 000 entreprises