Caroline Poissonnier en mission pour la santé mentale des dirigeants
Le management est en pleine évolution, avec un questionnement plus profond sur comment manager des équipes en étant bienveillant, à l’écoute et en mettant le salarié au centre de l’équation tout en restant compétitif. La directrice générale du groupe Baudelet a fait de ce sujet son cheval de bataille, que ce soit dans son entreprise, mais surtout autour des dirigeants qui l’entourent.

Pourquoi le sujet de la santé mentale des
chefs d’entreprises vous tient tant à cœur ?
CP. Je pense qu’il est complètement sous-estimé et pas du tout mis en avant dans le monde économique. La santé mentale est essentiellement abordée par des coachs et des psy qui ont du mal à toucher les leaders et les dirigeants, qui se mettent un peu dans une posture de : «Vis ma vie puis on s’en parle». Je vis cette vie et j’ai vécu des choses compliquées pendant un temps, que ce soit personnel ou professionnel, et je n'ai pas assez pris soin de ma santé mentale. J’ai vraiment frôlé le mur, j’étais dans une pente un peu descendante. Je n’ai pas fait de dépression ou de burn-out, mais j’avais perdu ma joie et mon étincelle, qui fait de moi ce que je suis. Et je me suis dit que je n’avais pas envie de passer le reste de ma vie à travailler comme cela. En remontant cette pente, en voyant des coachs, des psy, pour me demander ce que j’ai vraiment envie de faire, quelles sont mes forces, j’ai retrouvé une dynamique et une joie qui m’ont donné l’énergie pour transformer mon groupe afin de me réapproprier. Et quand j’ai vu ce que j’ai été capable de faire juste en m’écoutant un peu plus et être dans cette posture du prendre soin de soi, je me dis que ce message doit être porté au plus grand nombre, par les leaders pour les leaders, car ce sont quand même eux qui entraînent les organisations et c’est à eux d’être inspirants. Pour moi, on ne peut pas donner aux autres ce qu’on a plus en soi. Porter ce message de la santé mentale, c’est dire aux gens, aux leaders et aux dirigeants : «Prenez soin de vous, par ce que vous ne pouvez pas donner aux autres ce que vous n’avez plus en vous».
Le sujet de la
santé mentale est érigé en cause nationale, surtout pour
les plus jeunes, mais il y a peu de place laissée à celle des
dirigeants. Pourquoi, et comment faire pour mettre ce sujet en
avant ?
Je pense que c’est encore un sujet tabou dans la société. J’ai soutenu l’étude Choiseul sur la santé mentale et c’est assez édifiant sur la gestion et les effets du stress, sur combien pensent qu’il est important de s’en occuper et combien s’en occupent vraiment. Je pense qu’on a encore l’image du dirigeant Superman qui ne doit pas montrer ses failles et être en vulnérabilité. Je pense au contraire que l’on peut en faire une force. Qu’en étant authentique, qu’en osant se montrer tel que l’on est, on devient un leader plus inspirant et on est en capacité d’embarquer les équipes. Je pense que personne n’a envie de suivre des machines.
Cette vulnérabilité, c’est aussi le ciment de se dire «on est ensemble et personne n’est parfait et c’est ok». Ce n’est pas porté, car je pense que les gens ont encore honte. Plus de 60% des dirigeants pensent qu'il est tabou de voir un psy. J’ai envie de vraiment devenir porte-parole sur ce sujet, au niveau national et international.
Le sujet de la
santé mentale est encore tabou. La mentalité qui
dit qu’il est d’interdit d’échouer, où l’échec est un
problème, existe donc toujours ?
Je pense que oui et c’est très français. Il y a ce côté où l’échec est encore tabou. Je pense que ce n’est pas facile d’échouer, mais quand on est fort dans sa tête et qu’on est bien, cet échec, on peut en faire un rebond et c’est de l’expérience supplémentaire. Quand on parle de santé mentale, on parle d’être aligné avec ce que l’on fait, gérer ses émotions, transcender nos peurs. C’est cette dimension-là que je veux amener.
Comment gère t-on
un équilibre entre la vie professionnelle d’un côté, avec
un objectif de réussite, et la vie personnelle, en tant que chef
d’entreprise, notamment sur les petites entreprises ?
Chacun doit trouver son curseur et son équilibre. Il n’y a pas un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, car je pense que nous ne sommes qu’un, et c’est utopique de dire que si ça ne va pas à la maison, je serais épanouie au travail, et vice-versa. Il faut réussir à équilibrer. À toujours à vouloir en faire plus, on finit par en faire moins. Quand on travaille tout le temps, on en devient moins efficace, moins précis. Je conseille vraiment de déléguer, même si on ne peut pas le faire tout le temps, et accepter que certaines choses ne puissent pas être réalisées. Quand on a la tête dans le guidon, on ne voit plus que ça et on n’arrive plus à rouvrir le spectre, à avoir cette clarté mentale pour prendre les bonnes décisions et pour faire pivoter les entreprises. Il n’y a pas de recette miracle. Mais on peut se trouver une passion pour avoir une vraie échappatoire à soi, même une heure dans la semaine. Et quand les gens disent «je ne peux pas prendre une heure dans la semaine», ce n'est juste pas possible. Tout le monde doit toujours avoir au moins une heure rien que pour lui dans la semaine. Sans cela, on s’épuise. Et quand on s’épuise, on rentre dans ce cercle vicieux. Quand on fait cette heure, on se vide la tête et c’est là que d’autres choses peuvent arriver, que l'on reprend de la vitalité et que c’est contagieux pour les autres.
Vous avez
remarqué une évolution sur ce point par rapport aux dirigeants qui
vous entourent ?
Ils sont de plus en plus nombreux à m’écrire, pour rejoindre le programme LeaderKiff, qui va arriver en fin d’année. Je reçois beaucoup de messages, surtout des hommes, qui me disent : «Merci de porter ce sujet, c’est vrai que ce n'est pas facile, comment faire ?». Je crois profondément au pouvoir de l’accompagnement. Il est très dur de se bouger tout seul, de se rendre compte de nos mauvaises habitudes. Il ne faut pas transformer nos vies, je n’y crois pas, mais dire «je vais me faire accompagner avec un regard externe qui va me montrer un peu mes angles morts et mes incohérences, et qui va aider à faire de petits pas». C’est une méthode à laquelle je crois profondément. C’est un petit pas qui en entraîne un autre. Le premier ne va pas nous faire arriver tout de suite où l'on veut aller, mais il va nous faire sortir de là où nous étions. Plein de choses se déclenchent et cela a un effet boule de neige. Il faut aussi bien s’entourer, car si on est entourés de gens qui nous disent qu’on ne va pas y arriver, alors on ne va pas y arriver. Il y a plein de petites choses à faire sur tous les sujets, professionnel ou personnels. Dire ce que vous avez envie de faire, c’est ce que l'on encourage aujourd’hui. C’est ma vision du management et du leadership. C’est tous ensemble, chacun dans son rôle, dans sa force, et à l’écoute de soi-même. Le tout à la fin est que le job soit fait.
Vous avez un
engagement écologique fort au sein de Baudelet. Est-ce qu’avoir un
engagement écologique important amène à avoir un engagement humain également ?
Pour nous, c’est indissociable. On a décidé de diversifier - au-delà de nos deux branches historiques de l’environnement et du commerce -, avec d’autres métiers qui font sens pour nous, qui représentent nos personnalités et nos convictions. Pour nous, il y a deux choses : les hommes et la planète. Il faut sauver la planète et on agit tous les jours pour cela. Et en même temps, si les hommes ne vont pas bien, ils ne se seront pas en capacité de la sauver. On parle d’écologie environnementale, mais aussi d’écologie personnelle. Pour nous, les deux se répondent. Pour les hommes, on va vers le bien-être et vers l’équilibre, et pour la planète, on va au-delà de notre engagement écologique. On s’est encore plus impliqués dans la partie énergétique, avec le volet production d’électricité verte, via le photovoltaïque, et le volet sobriété énergétique avec l’entreprise Fibou, qui fait des panneaux isolants avec fibre bambous.
«LeaderKiff», un mouvement pour réinventer le
leadership
Pour partager ses idées sur les évolutions du management, Caroline Poissonnier est en pleine création d’un mouvement nommé «LeaderKiff». Il se veut à la fois «un réseau d’influence et un think tank pour remettre le bien-être et l’équilibre au cœur de la performance», explique la dirigeante. L’objectif est de regrouper des chefs d’entreprises qui souhaitent «faire bouger les organisations et réinventer un nouveau style de leadership». Il y aura donc des conférences-débats et des conseils d’experts à travers des programmes de formation en entreprise. Les programmes seront adaptés à chaque personne via un questionnaire préparé avec des experts en santé mentale. «Ensuite, le but sera de créer des groupes de co-développement afin de s’aider entre pairs, et ce, tous les mois», s'enthousiasme Caroline Poissonnier.