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Ce que révèle l’offensive commerciale des plateformes chinoises

Les plateformes chinoises sont sous le feu des projecteurs depuis l’installation de Shein dans les locaux du BHV à Paris, le 5 novembre dernier. Leur essor fulgurant ne constitue rien d’autre que le dernier avatar de l’ambition hégémonique de la Chine. Décryptage.


© AFP
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L’inauguration d’une boutique Shein au BHV de Paris a scandalisé de nombreuses grandes enseignes, qui ont décidé de quitter précipitamment le grand magasin pour marquer leur désapprobation. Il est vrai que Shein traîne derrière elle une mauvaise image incompatible avec celle des grandes marques. Plus généralement, les secteurs du textile et du prêt-à-porter souffrent énormément de la concurrence chinoise. C’est pourquoi afin de montrer sa détermination à agir, le gouvernement n’a pas lésiné sur la communication : contrôle de conformité à l’aéroport des produits expédiés par Shein, menace de suspension, signalement de plusieurs plateformes chinoises à la justice pour vente de produits illégaux, etc.

La fin de la « mondialisation heureuse »

Au début des années 1990, d’aucuns s’étaient persuadés que l’intégration mondiale des marchés nationaux et un commerce international sans entraves seraient les garants d’une « mondialisation heureuse », pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage d’Alain Minc. À la clé, les entreprises obtiendraient des ressources plus abondantes et moins chères et s’assureraient de débouchés plus nombreux. Du côté des consommateurs, c’était la promesse d’avoir accès à des gammes très étendues de produits, qui pourraient être achetés à moindre prix. Bref, le meilleur des mondes pour peu que les acteurs économiques sachent s’adapter.

Hélas, il est vite apparu que ce nouvel ordre économique profiterait bien davantage à la Chine qu’à la vieille Europe. Depuis son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine est en effet devenue très vite l’atelier du monde. Une décennie plus tard, elle se lançait même dans une croisade commerciale à la faveur des « nouvelles routes de la soie », qui se révéleront surtout utiles pour écouler sa surproduction. L’automobile et l’acier en ont fait les frais en Europe.

L’essor fulgurant des plateformes de commerce en ligne, en seulement quelques années, n’est donc rien d’autre que le dernier avatar de l’ambition hégémonique de la Chine. En ces temps de budgets serrés, les plateformes chinoises savent, en effet, répondre aux besoins des consommateurs en pratiquant une politique commerciale très agressive fondée sur des prix d’appel très bas, des promotions incessantes qui donnent toujours l’impression de faire une bonne affaire et un usage important des outils de marketing, dans le but de capter en permanence l’attention des consommateurs.

Des moyens de lutte peu adaptés

Après la vague des plateformes américaines (Amazon, eBay…), accusées encore aujourd’hui de se jouer des règles commerciales et concurrentielles, celles venues de Chine ne font qu’exploiter, dans de plus grandes largeurs encore, les failles de la régulation européenne. Pourtant, au-delà des services de répression des fraudes nationaux, l’UE s’est dotée d’une directive sur l’e-commerce qui, en cas de manquement, peut permettre la suspension d’un site de commerce en ligne. Mieux, depuis 2022, l’activité de ces plateformes est beaucoup mieux encadrée avec le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act).

Mais, dans le cas de Shein, la vente de poupées illégales relevait en fait de vendeurs tiers qui utilisaient donc la plateforme comme simple marketplace. L’obligation de diligence ne s’exerce alors qu’a posteriori, une fois le problème signalé. À l’évidence, les plateformes chinoises se montrent encore plus douées que leurs concurrentes américaines, il y a 20 ans, pour gagner des parts de marché, jouant tout à la fois du manque de moyens humains et techniques de contrôle — alors même que les contrefaçons et produits dangereux/illégaux sont légion sur ces sites —, des délais très longs des procédures judiciaires et d’une habileté certaine à contourner les règles. Une taxe sur les colis provenant de ces plateformes n’est dès lors pas certaine d’avoir un fort impact au vu des différentiels de prix, d’autant qu’elle pourrait être contournée si l’UE ne parle pas d’une seule voix.

Néanmoins, si ces plateformes cristallisent l’ire de nombreux producteurs, vendeurs et distributeurs européens, qui y voient, à juste titre, une concurrence insoutenable du point de vue économique, social, éthique et environnemental, il ne faudrait pas en déduire que leur suppression suffirait à sauver l’économie européenne. Dans le cas du prêt-à-porter, la crise a en effet débuté bien avant l’arrivée de Shein, avec les bouleversements de la « fast fashion » version Zara et H&M, de l’entrée de gamme façon Primark, des ventes privées et maintenant probablement de la vente de seconde main. Comme pour l’industrie lourde, tout le monde est resté l’arme au pied en attendant que la guerre (commerciale) passe. Hélas, c’est la production sur le sol européen qui passe, mais cette fois avec l’aide des consommateurs, trop heureux de pouvoir s’offrir plusieurs fois par an des produits peu chers et tendances, alors même que cela se paie à moyen terme d’une dégradation de l’emploi en Europe et de l’environnement…