Ces entreprises qui ouvrent leurs portes
Fabriques de parfum, de jeans, marais salants... De plus en plus de sociétés ouvrent leurs portes aux visiteurs. Comme un retour au temps où l'entreprise n'était pas un lieu séparé de la société. Témoignages, lors d'une récente table ronde organisée par l'Ajpme.

Un tourisme nouveau : chaque année, quelque 20 millions de personnes se rendent dans une entreprise pour la visiter, d'après l'association Entreprise et découverte qui promeut cette démarche. Le 5 juin, à Paris, l'Ajpme, Association des journalistes spécialisés dans les PME, organisait une table ronde consacrée à « L'essor de la visite d'entreprise ».
Cécile Pierre a fondé l'association Entreprise et découverte en 2012. Une douzaine d'années plus tard, une dynamique s'est clairement enclenchée. En 2024, 4 000 entreprises ouvrent leurs portes à des visites, contre la moitié en 2016. Les 12 salariés de l'association accompagnent les entreprises - principalement des PME- pour les aider à mettre en place l'ingénierie nécessaire aux visites. Et la démarche suscite l'intérêt de nombreux acteurs de la société, collectivités locales, ministères et représentants du monde économique. « Nous travaillons avec toutes les régions », explique Cécile Pierre. L'association collabore aussi avec les ministères de l'Economie (tourisme), de la Culture et de l’Éducation nationale, des comités départementaux du tourisme, des fédérations ou regroupements professionnels ( Medef, Cosmetic Valley, fédération du cuir, des spiritueux...)...
Fruit de cette effervescence, les visites d'entreprises se développent selon « trois modèles » différents, note la déléguée générale d’Entreprise et découverte. Le plus répandu : le modèle « entrepreneurial » qui reçoit un afflux limité de visiteurs, auprès desquels les salariés jouent le plus souvent le rôle de guide. Dans le «modèle touristique », l'entreprise devient pour partie un site touristique doté d'infrastructures et d'équipes dédiées. Le modèle « métier » (pour l'instant très confidentiel) est destiné à accueillir des jeunes pour leur faire découvrir le monde de l'entreprise et ses savoir-faire.
Un « nez » et des machines à coudre
Des entreprises très diverses s'adonnent à la visite d'entreprise, ont témoigné leurs représentants. Comme Fragonard, fabriquant de parfum implanté dans une région très touristique et l’Atelier Tuffery, fabriquant de jeans, sis au cœur du parc national des Cévennes... Le premier, pionnier des visites d'entreprises, a basé sa stratégie sur le couple : « Grasse capitale mondiale du parfum, et département des Alpes-Maritimes, deuxième destination touristique de France », explique Eric Fabre, directeur de l'entreprise. Dès les années 1930, des premiers visiteurs ont commencé à arriver dans le cadre des congés payés...Depuis, l'activité a été très diversifiée avec notamment des « ateliers » où le visiteur compose son parfum, sous la houlette d'un « nez ». Trois cents kilomètres plus loin, dans le village de Florac ( Lozère, 2 000 habitants) , l'Atelier Tuffery reçoit chaque année 5 000 visiteurs (payants) dans son « atelier boutique ». « Jusqu'au brevet des collèges, j'ai fait mes devoirs sur un morceau de table de couture. Il y a toujours eu des gens qui venaient,des copains de mon père, c'était un peu le café du commerce », partage Julien Tuffery, qui dirige l'entreprise familiale (quatrième génération). Les locaux actuels (construits en 2016) ne séparent pas nettement atelier et boutique. Le principe des visites s'inscrit à la fois dans cette tradition et le modèle d'entreprise défendu par Julien Tuffery : investissement dans l'outil de production pour que les salariés travaillent dans de bonnes conditions, sourcing local, vente en direct. Les visites sont réalisées par des collaborateurs (volontaires). « Du point de vue managérial, c'est un outil de sincérité exceptionnel », commente le dirigeant.
« Rentrer dans le circuit touristique »
Pour les visites d'entreprises, l'agrotourisme constitue un champ particulièrement propice. Dans l'Aude, à Bize-Minervois, l'Oulibo, coopérative oléicole née en 1942, ouvre ses portes aux visiteurs depuis 2011. Historiquement « depuis toujours, les gens venaient, rentraient dans le moulin, discutaient de la récolte. Certains amenaient le jambon qui avait séché. L'autre, la gnole. (...) Même s'ils n'avaient rien à presser, ils venaient pour discuter », explique Jean-Marc Thibaut, responsable touristique de la coopérative qui est labellisée EPV, Entreprise du patrimoine vivant. L'objectif de la coopérative consiste avant tout à préserver le moulin, le savoir-faire des oléiculteurs et la Lucques du languedoc, une olive aussi surnommée « diamant vert », protégée par une AOP (appelation d'origine protégée) « bien connue des familles occitanes, mais non des consommateurs », précise Jean-Marc Thibaut. Les visites contribuent à cet objectif. Et le succès est là :115 000 visiteurs par an se rendent à la coopérative, venus de Carcassonne ou du Canal du midi. Le plus dur ? « Rentrer dans le circuit touristique », commente le responsable.
La réputation du sel de Guérande, elle, est bien établie. En Loire-Atlantique, la coopérative Le Guérandais ( 2 000 hectares de marais salants) a fait face à une toute autre problématique lorsqu'elle a décidé de se structurer en 2002, afin de développer son activité de visites. « Il a fallu canaliser le tourisme qui s'égayait dans les marais salants qui sont une propriété privée, un milieu fragile et un outil de production », explique Emmanuel Blanc, directeur de Terre de sel, la structure chargée de l'activité de visites qui emploie jusqu'à 30 personnes l'été. Aujourd'hui, les visiteurs sont dirigés dans deux salines et ils peuvent choisir entre 16 visites différentes (sur les traces des oiseaux, des animaux...).« Nous sommes passés de 38 000 visiteurs en 2002 à 65 000 aujourd'hui . 100% d'entre eux passent à la boutique, achètent de la fleur de sel et d'autres produits locaux », témoigne Emmanuel Blanc.