Dans l'ombre de Bétharram, le procès du pédocriminel Le Scouarnec peine à mobiliser

Près de trois mois après son début à Vannes (Morbihan), le procès du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec n'a suscité "aucune" prise de position politique, contrairement à l'affaire Bétharram, et échoue à faire avancer la lutte...

Des affiches lors d'une manifestation de soutien aux victimes du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec, à Vannes, le 19 mai 2025 © Damien MEYER
Des affiches lors d'une manifestation de soutien aux victimes du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec, à Vannes, le 19 mai 2025 © Damien MEYER

Près de trois mois après son début à Vannes (Morbihan), le procès du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec n'a suscité "aucune" prise de position politique, contrairement à l'affaire Bétharram, et échoue à faire avancer la lutte contre la pédocriminalité, regrettent victimes, associations et avocats.

Pour Solène Podevin-Favre, codirectrice de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), "il n'y a pas eu de mobilisation de la société ni du monde politique alors que tous les éléments étaient là."

Jugé depuis le 24 février par la cour criminelle du Morbihan pour des violences sexuelles sur 299 victimes majoritairement mineures, Joël Le Scouarnec "a tout avoué et ne remet pas en cause la parole des victimes: pour un procès de pédocriminalité, c'est atypique", souligne-t-elle auprès de l'AFP.

Cela aurait pu être "une occasion en or" pour "rouvrir le débat sur la lutte contre la pédocriminalité", "d'autant plus que l'affaire Bétharram a été révélée quelques jours avant" le début du procès, estime-t-elle.

Mais pour Mme Podevin-Favre, "si le monde politique s'est emparé de Bétharram, le silence est quasi complet sur Le Scouarnec (...) il ne mobilise pas."

Pas un fait divers

Pourtant, rappelle Manon Lemoine, une des victimes, "l'affaire Le Scouarnec n'est pas un fait divers mais un fait politique."

"On essaie de faire de lui un monstre, mais ce monstre, c'est la société qui l'a créé et qui l'a laissé perdurer", tempête la jeune femme de 36 ans, que l'accusé a reconnu avoir violée lorsqu'elle en avait 11.

Pour que la société "ne détourne pas le regard", les victimes "ont fait tout leur possible", note-t-elle.

Nombre d'entre elles ont ainsi levé le huis clos de leurs audiences. D'autres ont politisé leur prise de parole, prenant à partie l'avocat général ou la cour, comme Nicolas Gourlet, 31 ans, qui a exigé lors de sa déposition fin avril que "les choses bougent et qu'on n'ait pas un +Le Scouarnec bis+ dans la nature".

Et de plus en plus de victimes parlent à visage découvert dans les médias "pour que la honte change de camp" et "aider les gens à s'identifier" à elles. 

Comme Manon Lemoine, qui rêve encore d'"un sursaut du monde politique" à huit jours du verdict.

Si "le procès de Joël Le Scouarnec, c'est le procès de la responsabilité de Joël Le Scouarnec, rien d'autre", Me Frédéric Benoist, avocat de l'association La Voix de l'Enfant aimerait néanmoins que ce procès "alerte le gouvernement".

Pour qu'enfin, "il y ait une vraie politique de protection de l'enfance en matière de pédophilie", insiste-t-il, rappelant "le très faible budget" du seul dispositif d'aide en France destiné aux pédophiles, dénommé STOP.

"Mais pour l'instant on est loin de la prise de conscience sociétale espérée."

Interpeller" les politiques

Face à l'"apathie politique", Mme Podevin-Favre tente de voir le verre à moitié plein.

Ainsi, en mars, "des avancées ont eu lieu, avec notamment l'avis favorable du gouvernement concernant un meilleur contrôle du FIJAIS", le fichier recensant les auteurs d'infractions sexuelles ou violentes.

"Le gouvernement n'a pas communiqué dessus, comme s'il se doutait que c'est encore insatisfaisant", remarque la codirectrice de la Ciivise.

Le procès a aussi permis de souligner "l'importance des lanceurs d'alerte" pour dénoncer des pédocriminels, estime Gabriel Trouvé, 34 ans, une des victimes de Joël Le Scouarnec, à l'issue du témoignage auprès de la cour de Thierry Bonvalot, le 13 mai.

Ce psychiatre avait dénoncé dès 2006 -en vain- le comportement suspect de Joël Le Scouarnec dont il était alors le collègue à Quimperlé (Finistère).

Gabriel, Manon, Nicolas, tous ont rejoint un collectif réunissant une cinquantaine de victimes de Joël Le Scouarnec.

"Nous sommes effarés de constater que ce +procès du siècle+ ne fait pas date auprès du gouvernement et, plus largement, du grand public", regrette dans un communiqué le collectif.

Lundi matin, une vingtaine de victimes et leurs proches, réunis au sein d'un collectif, ont manifesté devant le tribunal contre le "silence du monde politique", qui a bien su "se mobiliser pour Bétharram".

Ils ont exigé "une commission interministérielle" pour "tirer les leçons" de l'affaire Le Scouarnec.

Présente également, la députée Sandrine Josso (MoDem) a regretté auprès de l'AFP que le "silence" du gouvernement "provoque une victimisation secondaire" des parties civiles.

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