Dans un village alsacien, le bistrot entre à l'Ehpad pour créer du lien
Dans le village alsacien de Kunheim, la maison de retraite a acquis une licence IV et ouvre régulièrement un bar au public, une initiative originale visant à créer des échanges entre générations...
Dans le village alsacien de Kunheim, la maison de retraite a acquis une licence IV et ouvre régulièrement un bar au public, une initiative originale visant à créer des échanges entre générations et apporter un "supplément d'âme" aux résidents.
Un samedi de novembre, peu avant le déjeuner. C'est l'heure de l'apéro au bar du centre d'accueil des personnes âgées de la Roselière, dans cette commune du Haut-Rhin de quelque 1.800 habitants.
Dans la salle comble règne un brouhaha de conversations animées et de rires mêlés aux chansons de variété française diffusées par un DJ.
Attablées devant un kir au vin blanc, des résidentes en fauteuil roulant papotent. "Regardez, ça fonctionne, elles discutent", se réjouit Robert Kohler, le directeur de cet Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Il y a quelques mois, cet homme de 69 ans, également maire du village voisin de Urschenheim, a racheté une licence IV, qui autorise à vendre des alcools forts, à l'occasion de la fermeture d'un restaurant dans sa commune.
Son idée: "dynamiser" la table d'hôte existante de son établissement, qui compte 127 résidents, et créer un bar ouvert au public tous les 15 jours.
Aucune intention mercantile, assure-t-il, comme le laissent supposer les prix modiques pratiqués: 2 euros pour la plupart des consommations, du verre de crémant à la bière ou aux boissons non alcoolisées.
"L'objectif principal, c'est de faire venir un maximum de monde, de l'extérieur vers l'intérieur, pour qu'il y ait une vie qui puisse, tout simplement, continuer pour nos résidents", souligne-t-il alors qu'un nombre croissant d'entre eux perdent leur autonomie et ne peuvent plus sortir au restaurant.
"Il y a des contacts qui se créent, et c'est cette vie qu'on recherche, ce supplément d'âme qu'on souhaite apporter à nos résidents".
- "Partager un moment" -
Samedi, sur les dizaines de visiteurs venus pour l'occasion, la plupart ont des liens familiaux avec les résidents, comme Véronique Gerhard, 57 ans.
"Maman est en fauteuil, on ne peut plus la sortir pour aller boire un verre. Alors moi, je trouve ça génial que nous, on puisse venir ici chez elle pour le faire", témoigne-t-elle
Nicolas Bacher, 37 ans, dont la grand-mère a été résidente, est venu avec son frère, sa belle-sœur et des amis, pour "partager ce moment avec les personnes âgées" qui souvent "sont seules ici".
"C'est notre village et c'est notre histoire aussi quelque part. Peut-être un jour ce sera nous qui viendrons ici", dit-il.
La plupart des aînés, pour beaucoup nonagénaires, se laissent prendre au jeu, même si certains, comme Colette Knoery, constatent qu'avec ce bruit, "on peut moins bien discuter".
Mais c'est "très sympa", dit-elle. "Les gens se voient, et ils boivent ensemble. C'est important", sourit doucement cette femme de 96 ans qui passera son deuxième Noël au centre, mais sans son mari décédé à la fin de l'an passé.
- "Porteur d'avenir" -
Le projet n'en reste pas moins ambitieux.
Il y a toujours quelque appréhension à entrer dans un Ehpad, reconnaît M. Kohler, mais "à travers cette licence IV, ce bar, c'est à nous de transformer l'image de nos établissements" et "convaincre l'ensemble de la population de toutes les belles choses qui se passent en maison de retraite".
D'ailleurs, l'idée séduit selon lui. À Barr, une autre ville alsacienne, un projet identique est en train de se monter, dit-il.
Face au vieillissement accru de la population et dans le cadre des réflexions pour mieux accompagner les aînés, le concept d'ouvrir les maisons de retraite est définitivement "porteur d'avenir", juge la maire de Kunheim, Jill Köppe-Ritzenthaler, également venue trinquer samedi.
Ce bar peut faciliter le "lien social entre les résidents des Ehpad et les personnes âgées qui habitent encore chez elles, mais qui sont peut-être un peu isolées", pointe-t-elle.
"On essaie vraiment d'enlever les barrières entre la société plus jeune et vieillissante", souligne l'édile, et ainsi "créer des concepts de vieillissement qui sont plus inclusifs".
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