Sauvegarder l'article
Identifiez vous, pour sauvegarder ce article et le consulter plus tard !

En 1975 à Lyon, des prostituées trouvent "refuge" dans une église pour dénoncer la répression

"Nos enfants ne veulent pas de leur mère en prison": le 2 juin 1975, devenue la journée internationale des travailleurs du sexe, plus de 150 prostituées occupent l'église de Saint-Nizier, à Lyon, et y déploient leur banderole pour dénoncer "la...

Un journaliste (g) interviewe une travailleuse du sexe lors de l'occupation de l'église de Saint-Nizier, le 6 juin 1975 à Lyon © Edmond PINAUD
Un journaliste (g) interviewe une travailleuse du sexe lors de l'occupation de l'église de Saint-Nizier, le 6 juin 1975 à Lyon © Edmond PINAUD

"Nos enfants ne veulent pas de leur mère en prison": le 2 juin 1975, devenue la journée internationale des travailleurs du sexe, plus de 150 prostituées occupent l'église de Saint-Nizier, à Lyon, et y déploient leur banderole pour dénoncer "la répression policière", se souviennent ceux qui les ont soutenues.

"Il fallait un lieu refuge, pas un lieu où la police viendrait nous chasser", raconte à l'AFP le père Christian Delorme, 74 ans, à l'époque étudiant, qui les a accompagnées à l'intérieur de l'édifice religieux huit jours durant.

"Ces femmes prostituées, souvent des mères, se sont retrouvées avec succession d'amendes et la menace de la prison", explique le prêtre du diocèse de Lyon, alors président du Mouvement pour une alternative non-violente et engagé au Mouvement du Nid, qui aide les prostituées.

Procès-verbaux, détentions arbitraires, rappels d'impôts et meurtres non élucidés de trois d'entre elles : les prostituées en ont "ras-le-bol". 

Alors ensemble leur vient "l'idée d'un grand cri pour dénoncer une répression policière qui pénalisait vraiment les femmes et mettait en danger leur famille", témoigne le père Delorme.

Le 2 juin, un rendez-vous est fixé par les prostituées à 10H00 face à la basilique Saint-Bonaventure. Complices, des journalistes s'y garent, mais il s'agit d'une tromperie: les femmes entrent en réalité dans l'église de Saint-Nizier, 400 m plus loin, où le curé Antonin Béal leur ouvre la porte.

Des mamans seules

Cette occupation pacifique est "une grande surprise" pour les Lyonnais, qui montrent à la fois "hostilité" et "respect" envers ces femmes, se remémore Michel Chomarat, alors âgé de 27 ans et partageant le trottoir avec elles pour "draguer" les hommes. Lui aussi subit la répression policière.

"L'opinion publique a découvert que c'étaient d'abord des femmes et souvent des mamans seules, ça c'est un énorme acquis", se félicite Christian Delorme, plus tard surnommé le "curée des Minguettes" et l'un des initiateurs de la "Marche des Beurs" contre le racisme en 1983.

Surtout, pour la "première fois", les prostituées sont entendues d'une "voix directe" et sans "intermédiaire", admire Cybèle Lespérance, travailleuse du sexe de 44 ans et coautrice d'une publication sur la révolte de 1975, publiée en mai par l'association Tullia.

Le mouvement a "un écho médiatique immédiat", et les femmes voient, "grisées", des journalistes "du monde entier" débarquer devant l'église, se souvient le père Delorme.

La "flamboyante" Ulla, désignée porte-parole du Collectif des femmes prostituées, et sa comparse Barbara, "qui rassurait beaucoup les femmes", multiplient les interviews.

Le religieux aide à rédiger les revendications et l'église occupée devient "un lieu d'expression de la parole".

Solidarité

Devant l'édifice, curieux et soutiens se rassemblent, certains apportent des fleurs, des commerçants de la nourriture. Les mouvements féministes, pour qui la prostitution était un angle mort des réflexions, les soutiennent.

"Ca nous est un peu tombé dessus", concède Christiane Ray, 82 ans, alors militante féministe qui "apporte des panneaux devant l'église pour exprimer" son soutien.

"C'était très agité, il y avait beaucoup de monde" et "des réflexions très malveillantes des hommes", rappelle l'ancienne enseignante.

Partout en France, plusieurs centaines de prostituées se mettent en grève ou occupent les églises dans une dizaine de villes. C'est la "fin de la moquerie" et la prostitution devient un "sujet de société", explique Cybèle Lespérance.

L'église est finalement évacuée le 10 juin à 6H00 du matin par une centaine de policiers "casqués" et accompagnés de chiens, sans l'autorisation des religieux. "Ça a été très violent, parce qu'on ne s'y attendait pas, je tremblais", raconte Christian Delorme. Barbara est rouée de coups, Ulla est évacuée sur une civière vers l'hôpital.

L'Etat commande par la suite le rapport Pinot sur la prostitution, mais l'enterre aussitôt. A Lyon, des prostituées quittent le trottoir, d'autres y restent. Cinquante ans plus tard, la plupart sont décédées et aucune n'a pu être contactée par l'AFP.

"Le bilan n'est pas très bon, il n'y a pas eu beaucoup de victoires", constate Cybèle Lespérance, toutefois "émerveillée" par cette révolte dont les commémorations ont eu lieu samedi et lundi à Lyon.

48WV2WD