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Entreprises

Fabriquer en France : est-ce encore possible ?

Faire de la France un écosystème favorable à l'industrie requiert un engagement de l’État et aussi des grandes entreprises, soutiennent Arnaud Montebourg, entrepreneur et ancien ministre et Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie, devant des sénateurs.

© Adobe Stock.
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« Fabriquer en France : est-ce encore possible »? Le 15 mai, la Délégation sénatoriale aux entreprises posait la question à Arnaud Montebourg, entrepreneur et ancien ministre et Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie, chercheuse associée à l'Institut des administrations des entreprises de Poitiers, lors d'une audition accessible en ligne. Concurrence internationale déloyale, manque de lisibilité de la provenance des produits pour les consommateurs, difficultés de production... Face à la multitude des enjeux, les deux intervenants n'ont pas répondu « non ». Mais ils ont avancé analyses et solutions qui impliquent la participation et la responsabilité d'acteurs qui ne jouent pas vraiment leur rôle, à les entendre. A commencer par l’État. « Les rapports s'empilent et l'action publique ne suit pas », commente Anaïs Voy-Gillis, rappelant des « images très blessantes (…) symbole d'un État qui n'a plus les moyens », masques importés de Chine, médecins endossant un sac poubelle en guise de sur-blouse...

A ce sujet, Arnaud Montebourg, qui fut ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique entre mai 2012 et août 2014, dénonce une situation de « dépendance fautive, coupable et dangereuse ». En matière d'industrie, c'est une stratégie de l’État très volontariste qu'il préconise, visant à « garder ce que l'on est en train de perdre », à l'heure où les faillites augmentent, et à récupérer les pans de l'industrie perdus. Charge à l’État, aussi, d'initier une planification industrielle, ensuite mise en musique par les entreprises. « La planification sert à avoir une vision de long terme », plaide Arnaud Montebourg. Autres enjeux qui relèvent de la responsabilité de l’État : imposer la visibilité de la provenance des produits, y compris malgré l'Union Européenne. Et aussi, orienter la commande publique vers le soutien aux producteurs français.

« Donner de la visibilité aux sous-traitants »

Au delà du rôle de l’État, incontournable pour assurer les conditions d'un tissu industriel viable, les deux intervenants ont aussi souligné celui des grandes entreprises donneuses d'ordre. En effet, « pour remonter des filières industrielles, il est nécessaire d'avoir un tissu industriel solide.(...) Toute personne qui a voulu remonter une filière, que ce soit pour fabriquer des montres, de l'électroménager, etc., s'est heurtée à la difficulté à trouver un sous-traitant. Et quand on les trouve, ils peuvent être dans une situation économique fragile. Cela n'incite pas à créer un nouveau produit sur le territoire », analyse Anaïs Voy-Gillis. C'est dans ce cadre que les grands donneurs d'ordre ont un rôle à jouer, selon elle. « Il s'agit de donner de la visibilité aux sous-traitants. C'est l'une des conditions qui va leur permettre d'investir dans de nouvelles machines et favoriser l'émergence de ces filières. Il existe un réel enjeu à fonctionner en écosystème ». Un vœux pieux ? Arnaud Montebourg se souvient, comme ministre, avoir « convoqué à Bercy », les acheteurs des entreprises du CAC 40, afin de les encourager à acheter français. « Je leur avait dit : 16%, ce n'est pas bien. Je veux 25%. C'est un effort, oui, mais faites le, vous le devez à la France (…) Ils sont venus, ils sont repartis et on n'en a jamais entendu parler après. (…) c'est un travail permanent de lutte avec les grandes entreprises en leur disant, occupez-vous des PME ».

Historiquement, « il existe une responsabilité des donneurs d'ordre dans la désindustrialisation de la France. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, dans les années 2000, la délocalisation était monnaie courante. Tout le monde disait qu'il fallait aller ailleurs pour survivre », rappelle Anaïs Voy-Gillis.