Immobilier, légère éclaircie après une période orageuse
Alors que l'immobilier traverse une période tumultueuse depuis 2022, on peut entrevoir une légère éclaircie dès le printemps 2025 grâce notamment à une nouvelle législation. Jean-Michel Sède, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) et directeur de Loger Habitat dresse un état des lieux pour La Gazette Nord-Pas-de-Calais.

Quel
regard portez-vous sur l'année 2024 ?
On
dit souvent que l'immobilier a besoin de stabilité et de vision à
long terme, pour les professionnels comme pour les acquéreurs. 2024 a
été une année politiquement compliquée avec quatre ministres du Logement, un record. Donc forcément si on change les règles tous
les ans, il est difficile de se projeter. Et cela se ressent dans les
chiffres, on note -46% de mises en vente entre 2023 et 2024 en
Hauts-de-France. Et c'est un phénomène que l'on subit depuis deux ans.
Plusieurs facteurs en cause : la flambée des coûts des
matériaux avec la guerre en Ukraine, l'inflation et donc
l'augmentation des taux. Il y a eu un double effet : le prix de
revient de nos opérations a augmenté, nous ne parvenions plus à
aller au bout des opérations que l'on avait anticipées et les clients
avaient du mal à se financer. Puis les taux sont redevenus tolérables et admissibles, autour de 3%. Ce sont quelques signes encourageants au
deuxième semestre, même si on parle de volumes faibles.
Quel
est l'impact de la fin du dispositif Pinel ?
C'est
une catastrophe pour la filière, et qui se ressent tout de suite dans
les chiffres ! Les investisseurs ont baissé de 75% à l'échelle
des Hauts-de-France. C'est peut-être malheureux mais la motivation
d'achat des investisseurs, pour beaucoup, était d'aller chercher une
réduction d'impôt, et celle-ci compensait finalement la taxation du
logement qui est importante (TVA de 20%). En janvier-février 2025,
nous avons vendu 23 logements collectifs (dans les Hauts-de-France,
tous promoteurs confondus) donc il y a quand même des investisseurs
qui achètent sans dispositif de défiscalisation, même s'il s'agit
d'une part très faible.
Peut-on
craindre une pénurie de logements ?
Oui
! On le ressent surtout sur des villes comme Lille, où il y a une
tension locative forte notamment sur les T1 et T2. 17% des étudiants
renoncent à leurs études faute de logement. Cela a des conséquences
aussi sur les entreprises. Beaucoup de dirigeants n'arrivent pas à
embaucher à cause, d'une part, de la mobilité, mais aussi du manque
de logements.
La
primo-accession devient un réel enjeu. Quelles solutions sont mises
en place à destination des primo-accédants aujourd'hui ?
En
effet ! L'âge recule de plus en plus pour les primo-accédants. Il
existe une aide à l'accession à la propriété : le bail réel
et solidaire (BRS) ; c'est encore assez marginal mais c'est en train
de se démocratiser. On se doit de trouver des montages qui
permettent de minimiser l'impact des coûts de revient des
constructions. L'enjeu est de retrouver une clientèle d'acquéreurs
plutôt classe moyenne ou aux revenus modestes même si, on le sait,
tout le monde ne peut acheter aujourd'hui en France, d'où l'explosion
de la demande de logement social, qui est d'ailleurs un phénomène
national.
À
travers quels dispositifs le marché peut-il espérer se relancer ?
La
fin du dispositif Pinel va encore impacter l'année, mais il faut
reconnaître qu'il y a des lois adoptées positives dans la loi de
finances. L'extension du prêt à taux zéro pour tout type de
logement en fait partie (la maison était sortie de ce
dispositif, ndlr). L'idée est de densifier les villes. La loi
est opérationnelle en avril donc il est trop tôt pour mesurer
l'impact. L'exonération de taxation de donation pour l'achat d'un
logement neuf, soit 100 000 euros de dons, qui vient s'ajouter au
dispositif d'origine des 100 000 euros en 15 ans sans taxation par
donateur. Cette loi peut participer à aider une partie de la
clientèle, bien sûr. Et enfin le dispositif LLI (logement locatif
intermédiaire), qui a été étendu aux particuliers. L'avantage avec le LLI est que l'on peut acheter avec une TVA réduite à 10% et bénéficier
de réduction sur la taxe foncière, c'est le pendant du PINEL. Le
dispositif n'est pas très connu, c'est encore balbutiant dans la
région mais les professionnels commencent à le lancer. La seule
contrainte, c'est qu'il faut garder le bien a minima 15 ans.
Malgré
le contexte délicat, quels territoires tirent leur épingle du jeu ?
Dunkerque !
La ville se montre de plus en plus attractive, et le territoire suit
une belle dynamique, boostée notamment par les projets de
gigafactories industrielles. Il est difficile de se projeter sur quel
profil de salarié va venir s'implanter mais en tout cas les premiers
projets ont bien marché. On note d'ailleurs 166 logements neufs en
collectif en 2024 (contre 140 en 2021). Valenciennes est également un
marché solide. L'agglomération a toujours été dynamique, avec un
tissu d'entreprises et étudiants dense. On compte une centaine de
logements neufs en 2024 à Valenciennes. En revanche, la MEL
enregistre une baisse de -34% de mises en vente. On est passé de 1 744
logements en 2021 à 761 en 2024.
Quelles
sont les inquiétudes de la part des promoteurs ?
Il
existe un réel problème autour de la demande. La peur des
promoteurs est de ne pas réussir à écouler l'offre déjà mise
sur le marché. Le risque est de porter du stock, donc ils se
montrent très prudents.
Lille
reste en 2024 le troisième marché tertiaire de France derrière
Paris et Lyon (un peu moins de 200 000 m² commercialisés/an) ?
Comment se porte l'immobilier de bureaux et quelles sont les
nouvelles tendances ?
Le
modèle de bureaux classiques arrive à bout de souffle. Désormais,
les promoteurs ont tendance à diversifier leur offre vers le
logement. Clea reste marginal mais commence à entrer dans la
réflexion. La rentabilité est plus faible sur un logement
que sur un bureau, mais en même temps, la demande de bureaux
classiques est en perte de vitesse alors que la demande de logements
est toujours présente et on sait qu'elle va rester. Le Covid a eu
énormément d'impact sur le bureau, les habitudes ont changé. La
tendance de plus en plus est de mixer les usages dans les
aménagements urbains : bureaux, commerces, services, loisirs et
offre de restauration.
Comment
traitez-vous le phénomène des bureaux vides dans la MEL ?
C'est
un sujet sérieux effectivement. L'Agence d'urbanisme travaille avec
l'OBM (Observatoire des bureaux de la métropole lilloise) pour
recenser cette vacance locative et la qualifier. On retrouve soit des
bâtiments obsolètes qu'on peut transformer en bureaux soit en
logement. C'est en tout cas une opportunité foncière donc il y a un
vrai travail d'analyse à faire
«Le marché a ralenti tellement violemment que les structures doivent s'adapter»
Quel
est le moral des troupes ?
C'est
compliqué... Les sociétés de promotion font des ajustement
d'effectifs, à l'image de Nexity, Bouygues, etc. Le marché a ralenti
tellement violemment que les structures doivent s'adapter. En 2024,
les produits gérés (résidences étudiantes, séniors, co-living)
sont un nouveau phénomène de solution locative et répondent à une
demande du marché. Ensuite, il faut voir comment vont se comporter
les investisseurs institutionnels et privés sur le marché du
logement pour prendre le relais des investisseurs particuliers. C'est l'enjeu des mois à venir. On sait que des établissements
bancaires sont en train de réfléchir à créer des foncières LLI,
on verra à quel volume et à quel rythme. Tous les débuts d'années mettent du temps à démarrer, il faut espérer que ça ne dure pas.
De toutes façons, toutes les mesures de la loi finances sont effectives à partir d'avril, on verra donc la suite.
Comment
la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) tente-t-elle de jouer
collectif dans ce contexte ?
Nous
avons créé une alliance pour le logement avec la FFB, l'union régionale HLM, les
notaires, les architectes. L'idée est de se parler, mieux se
connaître et mieux se coordonner pour répondre aux diverses
problématiques de la chaîne du logement, privé et social. On
essaie de se saisir de nombreux sujets, sur lesquels on peut agir au
niveau local afin de favoriser la production de logements. Au niveau
de la FPI, on essaie de travailler et réfléchir au statut du
bailleur privé. Il faut leur trouver un statut, un cadre, afin
qu'ils soient considérés comme de réels agents économiques de la
filière et pas comme le propriétaire rentier. Changer l'image du
bailleur donc, et surtout le statut. 80% des gens ont un logement, il
faut qu'ils s'y retrouvent et ne pas leur imposer trop de
contraintes. On a créé un groupe de travail pour faire des
propositions concrètes au gouvernement. Nous verrons si nous sommes
suivis. En tout cas, nous avons une ministre bien consciente des
problématiques, Valérie Létard, qui connaît aussi bien le
logement social que privé, avec une vue sur toute la chaîne.
Trois questions à Guillaume Pastour, directeur général de Carré Constructeur

Quel bilan dressez-vous de l'année 2024 ?
L’année 2024 pour Carré s’est achevée sur un résultat positif avec d’excellentes performances du marché des locaux d’activités de la MEL, avec quelques 12 000 m² de bâtiments vendus et livrés courant 2025. Le marché tertiaire a quant à lui marqué le pas avec un ralentissement significatif de la production du neuf. Seuls les immeubles très qualitatifs d’un point de vue énergétique, bas carbone et conformes au décret tertiaire 2050 ont trouvé preneurs. C’est le cas d’EMPREINTE à Marcq-en-Barœul avenue de la Marne, notre immeuble de bureaux passif de 6 000 m² loué à Kéolis Lille Métropole/Ilévia, qui accueillera ses 400 collaborateurs en juin 2025.
Quelles perspectives pour l'exercice 2025 ?
2025 devrait ressembler à 2024, avec en plus, une véritable prise de conscience des propriétaires d’actifs de la nécessité de mettre aux normes thermiques leurs bâtiments pour retrouver ou sécuriser leurs occupants. Notre métier change et notre force est de nous adapter en permanence à ces évolutions. C’est passionnant !
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets phares qui marqueront 2025 ainsi que les prochaines années ?
La grande diversité de nos produits et de nos savoir-faire nous permet d’aborder 2025 et 2026 avec plus de sérénité que ces derniers temps. Quelque 35 000 m² de bâtiments sont d’ores et déjà réservés par nos clients, principalement en clés en mains (industriels, tertiaires, immeubles spécifiques, rénovations énergétiques, etc.)

Tostain & Laffineur élargit son champ d'action
Thibaut Charlet, directeur du département locaux d'activités et industries chez Tostain & Laffineur, qui figure parmi les leaders sur le marché des bureaux, revient pour La Gazette sur l'activité de 2024 et aborde les enjeux à venir.
Tostain & Laffineur s'affirme de plus en plus comme un acteur clé de l'immobilier logistique et industriel. Que représente cette activité aujourd'hui ?
Nous avons beaucoup d'opportunités sur ces classes d'actifs précisément, car on a la chance sur le territoire d'avoir des friches que l'on peut réhabiliter pour accueillir des acteurs industriels, français mais aussi belges et néerlandais. L'industrie et la logistique pèsent pour 60% de notre chiffre d'affaires, les bureaux 40%. Sur le tertiaire, on observe une diminution du nombre de transactions par rapport à 2023, mais tout de même une contraction de 12%. Sur le marché lillois, nous avons réussi une belle transaction, à savoir le siège de l'AFM et de la Banque Populaire à Marcq-en-Baroeul, 19 000 m² sur les grands boulevards.
Etes-vous plutôt optimistes quant à l'année à venir ?
Nous clôturons au 31 août mais travaillons déjà sur 2026 avec des projets d'ampleur, notamment plus de 4 000 m² de bureaux. Historiquement sur la partie tertiaire, nous sommes assez concentrés sur la MEL. Il va falloir redonner confiance aux investisseurs et dirigeants qui se sont retirés du tertiaire, et qui attendent des niveaux de marché plus cohérents. 2025 marquera de belles transactions dans l'industrie et la logistique, notamment dans le Dunkerquois. L'enjeu est également d'accompagner des entreprises de la MEL qui souhaitent s'implanter sur le littoral. On a une carte à jouer. L'enjeu est de maintenir notre position de leader sur la MEL. Ensuite il faudra s'ouvrir à de nouveaux marchés.
Pourriez-vous nous dévoiler des chiffres clés quant à votre activité ?
Nous atteignons 22% de parts de marché dans la MEL, et 30% en industrie. En 2024, nous enregistrons une contraction de 12% avec 150 000 m² placés. Sur l'investissement en taux prime, nous sommes à 5% en 2023, contre 6,5% en 2024. Le taux de vacance pointe à 5,8%. Quant à l'offre tertiaire, elle se stabilise autour de 280 000 m².