Défense
Industrie militaire : l'intendance suivra ?
L'écosystème industriel est-il en mesure de répondre aux besoins militaires et aux engagements de la France ? Le défi est immense et loin d'être gagné tant le tissu des PME et ETI est fragile, montre une étude de Bpifrance Le Lab.
Équation complexe ou insoluble ? Le 8 octobre, Bpifrance Le Lab, laboratoire d'études de la banque publique d'investissement, présentait son étude intitulée « Aux armes dirigeants ? Les PME et ETI face à l'effort de défense ». Menée auprès de 1 700 start-up, PME et ETI françaises de la défense et des secteurs connexes, elle évalue l'ampleur de « l'effort » de production que devrait réaliser la BITD, Base industrielle et technologique de défense, et les moyens industriels et financiers nécessaires.
L' « effort », tout d'abord : sur fond de tensions géopolitiques croissantes et de pressions américaines, en juin dernier, au sommet de l'OTAN, l’État s'est engagé à accroître ses dépenses de défense jusqu'à 3,5% du PIB en 2035, contre deux points aujourd'hui. A cette exigence, Bpifrance Le Lab a ajouté une « cible » supplémentaire d'export « ambitieuse » (auprès des partenaires). Ces objectifs d'export sont basés sur les chiffres de 2024, exceptionnellement élevés (21,6 Md€ contre 13 Md€ par an, en moyenne, entre 2015 et 2023). Au total, Bpifrance Le Lab évalue donc l'effort de défense à une augmentation de la production industrielle militaire de l'ordre de 31 milliards d'euros d'ici 2030. « Il s'agit de passer des 53 milliards d'euros de production aujourd'hui à 84 milliards en 2030 » , explique Bao-Tran Nguyen, responsable du pôle études stratégiques de Bpifrance Le Lab. Cet accroissement de la production suppose une croissance annuelle en volume considérable des entreprises de la défense : + 7,6 % (contre 3% actuellement).
15 milliards d'euros nécessaires
En termes de financements, les investissements nécessaires sont évalués à 15 milliards d'euros. Face à l'ampleur du défi, tous les moyens industriels disponibles devront être mobilisés. « En priorité, il faut compter sur la BITD existante », explique Bao-Tran Nguyen. Les industriels sont partants : 94% des entreprises interrogées dans l'étude qui opèrent déjà dans le domaine de la défense ont intention de développer davantage leur chiffre d'affaires dans ce secteur. Toutefois, « il va falloir aussi travailler avec de nouveaux entrants ».
Dans l'étude, 55% des entreprises n'opèrent pas encore dans le secteur de la défense, mais pourraient le faire. Parmi elles, 43% le souhaitent. PME innovantes ou start-up, plusieurs types d'entreprises sont concernées : celles qui agissent dans le champ de la communication, des radars, de l'optique, de la connectique, de l'électronique, la cybersécurité...« Ces entreprises ont trois motifs pour se diversifier », souligne Philippe Mutricy, directeur de l'évaluation des études et de la prospective de Bpifrance Le Lab. Pour certaines d'entre elles, positionnées dans des secteurs en crise comme l'automobile ou la métallurgie, la reconversion est une nécessité. D'autres envisagent ce secteur comme un développement de leur activité ou la possibilité d'innover.
Une filière qui reste « un peu féodalisée »
En dépit de ces ressources potentielles, l'équation est très loin d'être résolue. Pour les entreprises nouvelles entrantes, « la défense est un marché dont l'entrée est hautement gardée », prévient Pascal Lagarde, directeur exécutif, chargé de l'International, de la stratégie, des études et du développement chez Bpifrance. Les règles y sont spécifiques : il faut se faire connaître, référencer par les donneurs d'ordres, réussir à dépasser les difficultés administratives … « Certaines start -up de la défense disent qu'il est plus facile d'exporter », illustre Pascal Lagarde. Quant aux entreprises qui travaillent déjà pour la défense, l'accroissement de leur production n'a rien d'une évidence. « Les capacités de production de ces entreprises sont déjà utilisées à 90% », explique Bao-Tran Nguyen. Or, leur situation financière dégradée ne les met pas en position de réaliser les investissements nécessaires. « Elles ont des structures financières fragiles, des taux d'endettement élevés et pas assez de fonds propres », décrit Bao-Tran Nguyen. L'étude montre que les entreprises présentes dans la défense conservent souvent des marchés civils importants : la moitié d'entre elles réalisent moins de 10% de leur chiffre d’affaires (CA) dans la défense.
Autre constat de Bpifrance le Lab, celles qui se sont le plus spécialisées dans ce secteur sont aussi celles qui connaissent le plus de difficultés. Par exemple, 72 % des entreprises qui réalisent 20 % ou plus de leur CA dans la défense ont connu des problèmes de trésorerie au cours de la dernière année, contre 59% de celles qui font moins de 10%. En cause, un enjeu « structurel » de fonctionnement du secteur, pointe Bao-Tran Nguyen. Les PME et ETI doivent composer avec des cycles de production longs, d'une part et de l'autre, la nécessité de stocker certaines matières premières dont l'approvisionnement est délicat, celle de régler leurs propres fournisseurs avant de produire... Pis, la filière reste « un peu féodalisée », explique Philippe Mutricy, avec de relations « extrêmement difficiles » entre sous-traitants et donneurs d'ordre, de retards de paiement. « La DGA fait un travail important pour essayer d'avoir une vision à long terme vis à vis des industriels, mais on a l'impression que cela ne ruisselle pas », commente Philippe Mutricy,. Un autre paramètre qui complique encore l'équation...
Les particuliers invités à contribuer
Objectif : apporter 450 millions d'euros de financements aux PME et ETI actives dans la défense. Bpifrance a lancé Bpifrance Défense, un fonds de capital-investissement pour les particuliers, centré sur la défense. Accessible dès 500 euros, il peut être souscrit sur la plateforme en ligne d'investissement Bpifrance. Ou alors, via divers produits financiers proposés par plusieurs distributeurs : AXA, le groupe BPCE, via ses filiales d'épargne salariale et retraite Natixis Interepargne, et Meilleurtaux Placement.