La Banque de France au soutien des chefs d'entreprise

Production de crédits, investissement, défaillances, état d’esprit des dirigeants… Directrice régionale de la Banque de France, Carine Jupin dresse un état des lieux de la situation économique des Hauts-de-France et évoque les projets de l’institution à destination des chefs d’entreprise.

"Nous n'entrevoyons pas de vague de défauts dans les mois qui viennent". ©Lena Heleta
"Nous n'entrevoyons pas de vague de défauts dans les mois qui viennent". ©Lena Heleta

La saison des résultats annuels 2024 des établissements bancaires régionaux s’est ouverte il y a quelques semaines. Thermomètre de la santé économique du territoire, comment se porte la production de crédits aux entreprises ?

CJ. En 2024, les encours de crédits mobilisés par les entreprises ont progressé de 2,6% dans les Hauts-de-France. À l’aune d’une croissance économique régionale qui s’est établie à 1% environ, cette dynamique est globalement satisfaisante. Elle l’est d’ailleurs d’autant plus que les encours n’ont augmenté qu’à hauteur de 1,5% à l’échelle nationale sur la même période. Autre paramètre positif, la production locale de financements bancaires a principalement été alimentée par les crédits d’investissement, dont les encours ont cru de 2,2%, soit 0,1 point de plus que la moyenne française. Une telle «surperformance» des Hauts-de-France n’avait plus été observée depuis plusieurs années.

Quels facteurs ont entretenu cette tendance ?

La baisse des taux d’intérêt a constitué un élément moteur. Depuis juin 2024, la Banque centrale européenne a abaissé à six reprises ses taux directeurs. Dans ce cadre, le taux principal de refinancement est passé de 4% à 2,65%. S’agissant des nouveaux crédits accordés dans les Hauts-de-France, le taux moyen s’est établi à 4,18%, un niveau en recul sensible de 62 points de base sur un an. Au-delà de cette détente des modalités d’emprunt, force est de reconnaître que l’évolution plus marquée des encours dans la région a aussi été soutenue par quelques opérations de taille significative.

Qu’en est-il sur le front des dépôts bancaires ?

Ceux des entreprises (+ 1,6%) comme ceux des ménages (+ 0,9%) se sont inscrits en légère hausse, se démarquant là encore de la tendance nationale (respectivement – 1,5% et + 0,2%). S’agissant des particuliers, le taux d’épargne dans les Hauts-de-France demeure dans ce contexte significativement élevé, autour de 18%. Ce constat peut s’expliquer non seulement par les fortes incertitudes économiques et géopolitiques du moment, qui incitent les Français qui le peuvent à se constituer une épargne de précaution, mais aussi par le réinvestissement des intérêts perçus par les ménages ces derniers mois, lorsque les taux étaient plus élevés.

Par rapport aux incertitudes que vous évoquiez, comment s’établit actuellement le moral des chefs d’entreprise locaux ?

Entre la décélération de l’activité économique attendue en France – la prévision de croissance actuelle de la Banque de France est de +0,9% pour 2025, contre +1,1% en 2024 – et l’entrée dans une nouvelle guerre économique déclenchée par l’administration Trump, certaines entreprises se retrouvent avec des carnets de commandes moins fournis, en particulier dans l’industrie manufacturière, ce qui pèse négativement sur la confiance de leurs dirigeants et les conduit à revoir à la baisse leurs projets d’investissements. Pour autant, plusieurs pans d’activité continuent d’afficher des perspectives porteuses, à l’image du matériel de transport automobile et ferroviaire, de l’industrie agroalimentaire, voire de l’acier où les acteurs pourraient profiter de la revalorisation attendue du budget de la Défense à des fins de réarmement du pays. À noter également que le rebond de la production de crédits immobiliers amorcé l’an dernier dans les Hauts-de-France, bien que modéré à ce jour, devrait avoir des répercussions positives sur plusieurs secteurs, dont le BTP. Dans ce contexte général, on ne peut que se réjouir des conclusions de notre enquête régionale de conjoncture du mois de février : notre indicateur d’incertitude fondé sur les commentaires des entreprises s’est en effet quelque peu détendu en février dans les services marchands et dans le bâtiment, tandis que le jugement sur la position de trésorerie a cessé de se dégrader dans l’industrie comme dans les services marchands.

En 2024, les Hauts-de-France ont enregistré 4 830 défaillances d’entreprise, un nombre en progression de 8,6% sur un an. Quelles sont vos prévisions dans ce domaine pour les prochains mois ?

En matière de sinistralité, la situation a eu tendance à s’améliorer en ce début d’année. Certes, de nombreuses entreprises, de petite taille notamment, rencontrent des difficultés croissantes dans le bâtiment, la distribution (retail) ou encore la santé (pharmacies). Toutefois, la perspective d’une croissance modeste mais positive dans la région en 2025 devrait contribuer à soutenir les résultats des agents économiques. C’est pourquoi nous n’entrevoyons pas de vague de défauts dans les mois qui viennent. Quoi qu’il en soit, nos équipes restent à la disposition des dirigeants pour les accompagner dans leur développement et dans la résolution de leurs problématiques.

Vis-à-vis des chefs d’entreprise, justement, envisagez-vous d’élargir votre offre de services ?

Oui. D’abord, nous continuons de travailler sur la méthodologie de notre «Indicateur Climat», qui vise à mesurer l’exposition des entreprises aux risques climatiques. Ce faisant, son objectif consiste à accompagner celles qui émettent le plus de CO2 dans la mise en œuvre de leur stratégie bas carbone, en leur permettant par exemple de se comparer à leurs pairs. En 2025, près de 200 sociétés de la région seront ainsi sollicitées en vue de remplir un questionnaire. Ensuite, l’autre grand chantier sur lequel nous avançons concerne notre outil de diagnostic financier dénommé Opale (Outil de positionnement et d’analyse en ligne des entreprises). Permettant aux dirigeants de mesurer et de comparer les performances de leur entreprise, d’identifier ses points forts et de découvrir son potentiel d’amélioration, Opale s’adresse aujourd’hui aux sociétés qui affichent un chiffre d’affaires d’au moins 1,25 million d’euros, soit plus de 20 000 entités dans les Hauts-de-France. D’ici quelques mois, son accès sera étendu à l’ensemble des entreprises dès lors qu’elles disposent de trois bilans annuels.