Sauvegarder l'article
Identifiez vous, pour sauvegarder ce article et le consulter plus tard !

La France travaille-t-elle trop peu ?

Le taux d’emploi et le PIB par habitant sont plus faibles en France que dans les autres grands pays, ce qui pénalise le financement de notre système de protection sociale. Comment accroître la quantité de travail ? Réponses de plusieurs économistes.


© Adobe Stock.
© Adobe Stock.

Un tiers du produit intérieur brut. C’est ce que représentent aujourd’hui les dépenses sociales en France (32% du PIB), et « c’est le pourcentage le plus élevé de tous les pays de l’Union européenne », a expliqué Gilbert Cette, professeur de sciences économiques à la NEOMA Business School, lors d’une table-ronde organisée dans le cadre des Journées de l’Économie, le 4 novembre, à Lyon. Les retraites (14% du PIB) et la santé (11%) constituent les deux plus gros postes de dépenses.

Le taux d’emploi en France plus faible qu’ailleurs

Mais cela ne signifie pas que le système de protection sociale des Français est plus coûteux que celui les autres pays avancés. « Exprimées en euros par habitant, nos dépenses sociales sont comparables à celles d’autres pays européens », a poursuivi l’économiste. Leur poids dans le PIB s’explique par le fait que « la France a un PIB par habitant très inférieur à ceux des autres grands pays européens et des États-Unis ». Cet écart avec les autres pays avancés est lié au fait que le taux d’emploi (personnes en emploi dans la population de 15 à 64 ans) est plus faible en France : il est actuellement de 69%, contre 77% en Allemagne et 82% aux Pays-Bas, par exemple. Il est également très variable selon les tranches d’âge : il atteint 88,6% chez les 25-49 ans, mais est beaucoup plus faible chez les jeunes de 15 à 24 ans (42,3%), les personnes de 50 à 64 ans (72%) et de 65 à 69 ans (11,6%). Or, « l’augmentation du taux d’emploi entraînerait une augmentation du PIB et une augmentation des rentrées fiscales et sociales », et « nous aurions moins de difficultés pour financer les dépenses sociales ».

Davantage de jeunes et de seniors à former que chez nos voisins

Selon Pauline Givord, cheffe du département des études économiques de l’Insee, plusieurs facteurs expliquent le faible taux d’emploi de certaines catégories en France. À commencer par un taux de fécondité relativement élevé sur la période 2000-2015 comparé à nos voisins européens. Aujourd’hui, « nous avons plus de jeunes à former », a-t-elle expliqué, avant de préciser qu’il s’agit d’une situation « transitoire ».

Autre facteur : le vieillissement de la population active. La féminisation de la population active et les reports successifs de l’âge de départ à la retraite ont entraîné une hausse du taux « d’activité » des seniors (+ 50 ans), sur les vingt dernières années. Mais toutes les personnes « en activité » ne sont pas « en emploi », car cela inclut les personnes au chômage. Actuellement, « 20% des personnes de 55 à 61 ans ne sont ni en emploi ni en retraite », et, pour la majorité d’entre elles, « c’est une situation subie » pour des questions de santé, de handicap, ou parce qu’elles ne trouvent pas d’emploi. La mise à jour des compétences professionnelles tout au long de la vie est un enjeu majeur, car « le taux de formation des seniors est particulièrement faible par rapport à nos voisins européens », notamment en matière informatique et numérique.

Comment accroître la quantité de travail ?

Pour accroître « la quantité de travail », il faut augmenter « la durée annuelle du travail des personnes en emploi » et/ou augmenter « le taux d’emploi », a expliqué l’économiste Bertrand Martinot, expert associé auprès de l’Institut Montaigne. En ce qui concerne le taux d’emploi, il augmente légèrement en France d’environ 0,3 point par an, avec le développement de l’apprentissage, pour les plus jeunes, et le report de l’âge de la retraite, pour les seniors. Mais « c’est un processus très lent », a-t-il relevé.

Concernant la durée annuelle du travail des personnes en emploi, les salariés à temps complet français « travaillent moins que leurs homologues européens », a-t-il poursuivi, de l’ordre de « trois semaines de travail en moins, du fait de la réduction du temps de travail (RTT), des congés maladie, de l’absentéisme… » Le nombre de personnes travaillant à temps partiel est moindre en France qu’ailleurs, mais « cela ne compense pas le déficit d’heures travaillées par les salariés à temps complet ». Cette situation s’inscrit dans « une tendance générale à la diminution du temps de travail en Europe », qui se traduit par « un décrochage du temps de travail en Europe par rapport aux États-Unis ».

Selon l’estimation réalisée par l’économiste, l’alignement de la durée annuelle du travail des salariés à temps plein français sur celle des salariés à temps plein allemands entraînerait une hausse de 4,6% du PIB, et l’alignement du taux d’emploi français sur celui de l’Allemagne aboutirait à une augmentation de 5,3% du PIB. «Ce n’est pas miraculeux » en termes de résultats, et « à mon avis, il faudrait essayer de faire les deux », a-t-il conclu.