Le fluvial, une belle carte à jouer en Hauts-de-France

Le fluvial s'est révélé plus que jamais ces dernières années comme un moteur de compétitivité pour les entreprises du territoire. Malgré le contexte économique compliqué, il tire son épingle du jeu avec un trafic du fret en progression de 5,6% par rapport à 2023, soit 8,4 millions de tonnes transportés en 2024. Gilles Ryckebusch, directeur de Voies navigables de France (VNF) Nord Pas-de-Calais, nous livre son regard sur la filière régionale et aborde les futurs enjeux, notamment le titanesque Canal Seine Nord Europe.


Gilles Ryckebusch, directeur de Voies navigables de France (VNF) Nord Pas-de-Calais. © Lena Heleta
Gilles Ryckebusch, directeur de Voies navigables de France (VNF) Nord Pas-de-Calais. © Lena Heleta

Que représente le réseau fluvial en région ?

GR. Sur le bassin Nord Pas-de-Calais, VNF gère 680 kilomètres de voies navigables dont 250 km de voies à grand gabarit, où se fait l'essentiel du transport. Le grand gabarit couvre la région à travers trois branches que l'on connaît : l'Escaut vers Valenciennes, la Scarpe et la Deûle pour l'axe nord-sud et la branche vers le littoral. Les voies à petit gabarit représentent 430 km avec notamment la Lys, la Sambre et tous les canaux encore navigables.

Quelles missions assure VNF ?

Assurer la navigation, car la voie d'eau, contrairement à une autoroute ou une voie ferrée, a plusieurs usages, à savoir le transport de marchandises principalement, mais aussi la plaisance (tourisme), le nautisme (activités sportives), et il faut faire cohabiter les différents usages en toute sécurité. La gestion hydraulique (écoulement des eaux) également, s'adapter aux situations climatiques. Le troisième métier est d'apporter notre contribution à l'aménagement du territoire, dont chacun a des attentes différentes. L'idée est de les accompagner à la carte.

Quel regard portez-vous sur l'année écoulée ? Pouvez-vous dresser le bilan 2024 du fret ?

On a été confrontés à un certain nombre de perturbations. Deux vagues d'inondations fin 2023 et début 2024, des événements qui ne se produisent même pas tous les siècles qui ont eu un impact considérable puisqu'on a été fermés sept semaines au total. S'ajoutent les interventions liées à la maintenance du réseau avec les chômages de plusieurs écluses liées à Seine Escaut notamment (lire ci-dessous). Finalement avec la conjoncture, on ne sait jamais à l'avance quelle sera la tendance ; à l'été à mi parcours, on sait difficilement prédire le résultat en fin d'année car ce sont toujours des efforts individuels de chaque filière. Sept filières constituent en effet notre trafic fluvial et certaines sont confrontés à des à-coups. Mais malgré le contexte, le trafic est en progression de 5,6% par rapport à 2023. On atteint 8,4 millions de tonnes, (contre 8 en 2023), donc on est très heureux que les acteurs qui font confiance au fluvial aient progressé. 

Quels secteurs sont en progression ? 

Toutes, sauf la filière des matériaux de construction. L'agriculture enregistre une progression de 7,6% en tonnage ; la métallurgie +6% avec une forte dynamique sur les minerais alors même que les produits métallurgiques sont en retrait ; l'énergie - qui est modeste sur le plan fluvial mais en fort développement -, a multiplié par trois son tonnage en 2024 ; les engrais chimiques notent une progression modeste (+3,7%), surtout tirés par le transport d'engrais. Enfin, la filière conteneurs : +6,8% en tonnage (150 000 EVP par voie fluviale en 2024). Cela s'explique par la confiance accordée au fluvial par de grands acteurs en région, à l'image de Roquette par exemple, qui a choisi le format conteneurs par le fluvial depuis cinq ans. Il faut donc se réjouir mais rester mobilisés et déterminés. Rien n'est acquis, il faut rester à l'écouter des besoins et des difficultés des acteurs.

Quels aménagements ont été faits dans le cadre du Canal Seine Escaut ?

Seize écluses ont été mises au gabarit européen passant de 110 à 145 mètres, la toute dernière Quesnoy-sur-Deûle. Cela parachève l'aménagement du réseau Seine Escaut, donc 1 100 kilomètres de voies au gabarit européen depuis la région parisienne, l'ensemble des Hauts-de-France, l'ensemble de la Belgique mais aussi avec les connexions sur l'Allemagne et les Pays-Bas. Cela fait déjà plus de dix ans que cet aménagement du réseau Seine Escaut a commencé. Finalement, les voies navigables sont prêtes pour l'arrivée du canal seine nord, qui sera l'aboutissement.

Etes-vous confiant pour 2025 ?

Nous sommes confiants. On a le sentiment que nos clients et partenaires ont les conditions pour se développer et rien ne devrait les pénaliser en 2025. Ce qui nous enthousiasme, c'est de continuer à travailler sur l'aménagement du réseau et sur la préparation des développements futurs.

Justement, quels sont les principaux défis actuels à relever ?

Le travail ne s'arrête pas aux écluses, il y a un enjeu majeur autour de la téléconduite. On est en train de basculer six écluses de l'axe Escaut en téléconduite. Les avantages à court terme c'est la possibilité d'exploiter l'ensemble du réseau en grand gabarit avec plus de réactivité et accompagner le développement du trafic. Aujourd'hui les écluses travaillent sur une plage horaire, on sait qu'au fur et à mesure ce sera du 24/24. Les nouvelles solutions pour un service de qualité, ce sont ces technologies qui autorisent des commandes à distance avec caméras, communication permanente et système d'aide à la navigation. Tout cela permet une meilleure réactivité en cas d'incident. Mais il faut un temps d'adaptation au changement pour les bateliers. La téléconduite est un défi important d'ici la fin d'année, on doit passer de 6 à 16 écluses sur l'axe Deûle-Scarpe et en 2026, il restera quatre écluses sur l'axe Dunkerque pour que l'ensemble du réseau soit en téléconduite. Mais parmi les enjeux, il y a aussi le doublement de l'écluse principale de l'axe fluvial vers Dunkerque (les Fontinettes). On se prépare pour des travaux entre 2030 et 2035. Et enfin le dernier grand défi, c'est d'adapter le foncier autour du fluvial pour répondre aux besoins industriels et logistiques des acteurs.

Où en est-on du Canal Seine Nord ?

C'est enfin parti, après des années de travaux préparatoires importants ! Nous sommes vraiment sur les premiers ouvrages au niveau de l'Oise, Montmacq en particulier. Au-delà de cela, les terrassements du canal vont maintenant se dérouler en 2025-2026 à un rythme soutenu et il y a aussi les chantiers des écluses sur lesquels les entreprises sont en train d'être recrutées. Les premiers travaux sont attendus dans les 12 prochains mois. Pour tenir les délais, la société a divisé le chantier en plusieurs secteurs et les grands projets d'aménagement vont être engagés sur plusieurs secteurs en parallèle. L'Europe est un soutien indispensable et de poids dans un projet d'une telle envergure.

Que représente ce chantier titanesque dont on parle depuis plus d'une décennie ?

Il s'agit bien du chantier du siècle ! L'ensemble des filières se posent la question de ce qu'elles vont pouvoir faire de plus avec le canal Seine Nord. Le fluvial arrive progressivement à faire jeu égal avec le ferroviaire. Il y a une culture fluviale sur le Rhin et le Danube beaucoup plus ancienne, mais désormais il y a la possibilité pour notre région de passer d'une part modale de fluvial de 3% à 10%. Cela peut paraître modeste mais c'est un triplement de l'activité et une variété de territoires et d'entreprises qui aujourd'hui n'ont pas accès au fluvial l'auront demain. C'est donc tout un écosystème à construire ensemble et c'est très enthousiasmant. Tous les points de notre territoire seront à moins de 80 km d'un port intérieur ou d'une voie d'eau. On aura donc la capacité à l'échelle de toute une région d'être desservis par le fluvial, comme c'est le cas en Ile-de-France. Jusqu'à quel point cela va révolutionner l'économie, c'est difficile à quantifier. Mais le Canal Seine Nord va donner une nouvelle chance à un territoire qui en a besoin et qui mérite d'avoir ces opportunités de développement et de réindustrialisation.

Chiffres clés

- 680 kilomètres de voie navigables
- dont 250 km de voies à grand gabarit
- Et 430 km de voies à petit gabarit

En 2024 : 

- trafic en progression de 5,6% par rapport à 2023
- 8,4 millions de tonnes transportés contre 8 millions en 2023
- Agriculture +7,6% de progression en tonnage
- Métallurgie +6%
- Engrais chimie +3,7%
- Filière conteneurs +6,8%
- Energie : multiplié par trois en tonnage

    Quel avenir pour la plaisance en Hauts-de-France ?

    «Il faut s'inspirer de l'Europe du Nord et développer les usages autour de la plaisance. Nous sommes marqués par une décennie de culture industrielle, pour le plaisancier il y a des portions de grand gabarit où ils croiseront du fret mais c'est la caractéristique de la région. Il y a malgré tout des territoires qui souhaitent développer des usages de plaisance et avec Seine Escaut et l'arrivée du Canal Seine Nord. Cela peut donner un nouveau souffle à la plaisance et services de croisière, également liés au tourisme de mémoire et de centre-ville. Il y a vraiment quelque chose à faire main dans la main avec les collectivités».