Le patrimoine français tombe-t-il en ruine ?
Alors que des millions de Français s'apprêtent à participer aux Journées du patrimoine (19, 20 et 21 septembre), un rapport du Ministère de la Culture relève que près du quart des monuments historiques sont en mauvais état ou en péril. Le point.

Des millions de Français s'apprêtent à visiter l’Élysée et autres sites habituellement inaccessibles, en ces Journées du patrimoine (19, 20 et 21 septembre). Savent-ils que 23 % des monuments historiques en France sont «en mauvais état ou en péril», une proportion qui reste stable depuis 2013 ? Tel est le constat posé par le rapport «État de conservation des monuments historiques, immeubles du Ministère de la Culture (2019-2024)». Châteaux, maisons, églises… L'étude porte sur 36 512 monuments historiques protégés à des degrés divers selon leur statut («inscrit» ou «classé» au titre des monuments historiques). Elle les répertorie selon quatre niveaux d'état sanitaire, lequel induit la nécessité - ou pas - de travaux de restauration et leur ampleur : 36% sont dans un état sanitaire «bon» ; 41% , «moyen» ; 17% «mauvais» et 4,9% «en péril». D'après le rapport, les quelque 1 789 monuments en péril sont de type très divers. Environ 1 000 relèvent de la propriété privée, et quelque 600 autres appartiennent à des communes.
Autre constat de l'étude, depuis 2019, environ 2 000 monuments historiques ont vu leur état s'aggraver. Les sinistres sont à l'origine du passage de la catégorie «bon ou moyen» à «mauvais» ou «en péril» pour une plus d'une centaine d'entre eux. Parmi les sinistres les plus fréquents figurent les incendies (79), les tempêtes (29) , la grêle (15) ou les cyclones (14) . Par exemple, à Mayotte, le cyclone Chido a arraché les toitures de 11 monuments historiques, dont la mosquée de Tsingoni et celle d'Antana Bé. A ce sujet, en Normandie, riche de 600 km de façade maritime, «l’intensité comme la répétition des aléas climatiques sont de nature à fragiliser les monuments(..) . Ceci peut contribuer également à expliquer l’augmentation du nombre d’édifices identifiés comme étant en mauvais état», pointe le rapport. Dans le même sens, «la problématique de recul du trait de côte pourrait accroître de manière significative le pourcentage de monuments en péril». L'église de Varengeville (Seine-Maritime) pourrait même disparaître.
Loto du patrimoine et crédits usuels
Des moyens et des dispositifs publics divers sont mobilisés pour conserver et restaurer ce patrimoine, détaille le rapport. Ainsi, le ministère de la Culture, qui dispose de crédits affectés à cette mission, conduit ou soutient 6 000 à 8 000 opérations par an (constat, restauration ou travaux) sur des monuments historique. En outre, certaines collectivités territoriales se sont engagées dans l’entretien de leur patrimoine, dans le cadre de stratégies pluriannuelles axées sur la valorisation et le développement du tourisme. «Les collectivités qui disposent d’un parc important de monuments historiques contractent des accords-cadres avec des maîtres d’œuvre qualifiés, afin de disposer sur la durée de compétences en matière de travaux d’entretien, de réparation ou de restauration sur les monuments historiques, mais aussi sur les bâtiments d’intérêt patrimonial». Par ailleurs, depuis 2018, plusieurs dispositifs publics supplémentaires ont été mis en place. C'est le cas du FIP, Fonds incitatif et partenarial, de la mission Patrimoine en péril ( le «Loto du patrimoine») et du plan national de relance (à partir de 2021).
Autre dispositif encore, le plan d'action «sécurité des cathédrales», qui concerne les 87 cathédrales propriété de l’État. Au total, depuis 2018, 719 monuments historiques ont bénéficié d’une programmation de travaux grâce au FIP. Comme l'église de Culey (Meuse), dont la charpente et la couverture étaient en mauvais état mais dont la commune propriétaire n'était pas en mesure d'assumer le coût des travaux (2020). Le « Loto du patrimoine » a contribué au financement de la restauration de 593 monuments historiques. Parmi eux, le château Pont-Rémy (Somme), une propriété privée qui a bénéficié aussi de financements du département et de la région, ainsi que et de la commune.
Une centaine de monuments disparus
Mais les travaux nécessaires sont loin d'être toujours réalisés. «Les observations portées par les agents du ministère de la Culture démontrent les difficultés rencontrées : absence ou non réponse du propriétaire, incapacité à établir une programmation, partenariats financiers difficiles à mobiliser», note le rapport. Un simple exemple de projet - abouti - illustre la complexité de montage des dossiers. Le château de Coët-Candec, une propriété privée qui avait progressivement été abandonnée depuis les années 1910, (Morbihan) était réduit à l'état de ruine, dans les années 1990 : toitures et tour s'étaient effondrées. Aujourd'hui, l'édifice n'est plus en péril, mais c'est le résultat d'un long combat. En 2014, une association des amis de Coët-Candec a fédéré des acteurs et des financements nécessaires et a acheté le château, pour, deux ans plus tard, démarrer les premiers travaux de mise en sécurité. La restauration de la tour a commencé en 2021. La liste des financeurs est longue : DRAC, État (en crédit ordinaires et mission Patrimoine en péril), département du Morbihan, Région Bretagne.
Dans les cas extrêmes de blocage, le ministère de la Culture peut lancer des procédures de mise en demeure ou de travaux d’office, mais ces derniers ne sont pas toujours réalisés. Selon le rapport, «on dénombre une centaine de monuments historiques disparus en totalité». Plus de la moitié sont des propriétés privés, mais il y a aussi des bornes et des croix de chemin. Et aussi, secondairement, des sites industriels, des ponts, des monuments funéraires fortifications...En cause : la difficulté à «exercer un contrôle scientifique et technique aussi régulier sur les monuments inscrits que les monuments classés, à fortiori lorsqu'ils relèvent du domaine privé et pour une autre part, de la situation d'isolement des petits monuments en milieu rural».