Population / Opinion
Le « réarmement démographique » de la France mal engagé
Pour la première fois depuis 1945, le nombre de décès dépasse celui des naissances en France sur douze mois glissants, ce qui soulève la question du vieillissement démographique dont peuvent découler de sérieux problèmes économiques.

« Notre France sera aussi plus forte par la relance de sa natalité. Nous étions jusqu’à récemment un pays dont c’était la force. […] C’est moins vrai depuis quelques années ». C’était le 16 janvier 2024. Emmanuel Macron prenait acte de la baisse quasi continue des naissances depuis plus d’une décennie et annonçait, dans la foulée, son plan de «réarmement démographique » fondé sur une réforme du congé parental et un plan de lutte contre l’infertilité. Hélas, la rhétorique martiale n’aura pas suffi à endiguer les mauvais chiffres démographiques.
Vieillissement de la population en Europe
Pour la première fois depuis 1945, la France a enregistré sur douze mois glissants, fin mai, 651 200 décès pour 650 400 naissances. Ce croisement des courbes avait certes été anticipé… mais plutôt entre 2027 et 2035 ! La tendance est donc au déclin des naissances, ce que traduit (imparfaitement) l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) dont la valeur en 2024 - 1,62 enfant par femme — se situe très en deçà du seuil de renouvellement des générations. De plus, en France, les femmes ont leur premier enfant à 29,1 ans en moyenne, soit 5,1 ans plus tard qu’en 1974. Quant à l’espérance de vie à la naissance, elle continue de progresser pour atteindre 80 ans chez les hommes et 85,6 ans chez les femmes. Autant d’évolutions profondes susceptibles de bouleverser la démographie et de se traduire par un vieillissement de la population.
Mais, en Europe, la France reste encore relativement bien lotie. Ainsi, en 2023, l’ICF atteignait péniblement 1,38 en moyenne au sein de l’Union européenne (UE) à 27 ; 1,12 en Espagne ; 1,20 en Italie et 1,38 en Allemagne, mais 1,66 en France. Au sein de l’UE, les femmes ont leur premier enfant à 31,2 ans en moyenne et le nombre de naissances connaît un recul sensible dans de très nombreux pays membres. Quant à l’espérance de vie, elle s’établit en moyenne à 78,7 ans chez les hommes et 84 ans chez les femmes. À bien y regarder, l’UE est rentrée dans un hiver démographique, le vieillissement de la population étant une réalité aux conséquences déjà concrètes dans de nombreux pays (Allemagne, Italie…).
Des conséquences économiques potentiellement graves
En 1987, le célèbre démographe Alfred Sauvy affirmait que « le vieillissement de la population a touché plusieurs populations dans l’histoire : la Grèce, Rome et Venise en sont les exemples les plus fameux. À chaque fois, ce fut la mort de la société en question ». Conclusion terrifiante, même s’il faut toutefois se réjouir que l’espérance de vie augmente encore dans de nombreux pays européens, contrairement aux États-Unis.
Toujours est-il que si la croissance démographique est capable de stimuler l’innovation et donc la croissance économique, le plus souvent, le progrès technique est porté par les plus jeunes disposant de l’état d’esprit d’un « entrepreneur innovateur » (cf. Joseph Schumpeter). Dans ce cas, un vieillissement de la population s’accompagnerait d’un déclin de l’innovation, des créations d’entreprises et in fine de la croissance potentielle, le tout aggravé en cas de diminution de la productivité des actifs les plus âgés.
De plus, l’accroissement relatif de la classe des seniors ou retraités, visible sur la pyramide des âges, est susceptible de transformer en profondeur le marché du travail ainsi que les composantes de la demande globale (consommation et investissement), en raison notamment de préférences et de taux d’épargne, souvent très différents selon les classes d’âge. Les entreprises se retrouvent alors contraintes d’adapter leur offre à ces mutations de la demande, d’où l’émergence entre autres de la « silver économie », mot franglais désignant l’ensemble des activités économiques destinées en priorité à satisfaire les besoins des plus de 60 ans. Le danger est que le développement de cette « silver économie » pourrait se faire au détriment de toutes les autres activités productives ou innovantes.
Le vieillissement de la population soulève aussi de redoutables problèmes de répartition, dont la retraite n’est que la face émergée de l’iceberg, avec l’augmentation du rapport entre inactifs et actifs. C’est, en effet, tout le financement de la Sécurité sociale qui est alors à revoir, tant en ce qui concerne l’assurance maladie que la nouvelle branche autonomie.
Répondre aux mutations démographiques profondes nécessite d’en appréhender les dimensions socioéconomiques, psychologiques et même politiques. C’est ce qu’avait très bien compris Georges Pompidou, lorsqu’il a profité de ses vœux du 31 décembre 1970 pour se féliciter de la natalité française : « chacune de ces naissances présente un acte de foi dans l’avenir ». Le déclin actuel des naissances doit-il alors se comprendre comme une perte de confiance dans un avenir miné par l’incertitude, la précarité et la peur ? Une chose est certaine, en l’absence de solution concrète pour résoudre le déficit du solde naturel, le recours à l’immigration sera le seul remède. Mais, c’est là un sujet hautement inflammable politiquement…