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Les entreprises françaises dans la guerre commerciale
Fermeture du marché américain, désorganisation des chaînes logistiques, morosité des consommateurs français... Après les déclarations trumpiennes , les représentants des entreprises ont fait part de leurs inquiétudes à des sénateurs. Ils plaident pour une Europe moins naïve et un budget 2026 frugal.

Le 2 avril 2025, jour du « Liberation day », de Donald Trump, Président des États-Unis, avec ses annonces de très fortes augmentations de droits de douanes, fera date. Celles-ci - bien que suivies d'ajustements et rétropédalages divers- inquiètent fortement les représentants des syndicaux patronaux en France. Le 29 avril dernier, ils ont détaillé leurs préoccupations lors d'une table ronde sur « les entreprises françaises dans la guerre commerciale », organisée par la Délégation aux entreprises du Sénat et visible sur le site de l'Institution.
Même les plus petites entreprises - qui sont déjà très fragiles- risquent d'être fortement impactées par ce nouveau contexte et ce, à plusieurs titres, selon Michel Picon, président de l'U2P, Union des entreprises de proximité, qui représente 3,4 millions de TPE-PME et indépendants (artisans, commerce de proximité, professions libérales). Tout d'abord, ces sociétés « sont souvent en sous-traitance. Des marchés qu'elles peuvent avoir avec de grandes entreprises exportatrices vont perturber leur fonctionnement, leurs marges », explique Michel Picon. Ensuite, certains secteurs précis vont d'être lourdement impactés, car une partie importante de leur activité dépend des exportations vers les États-Unis. C'est par exemple le cas des facteurs d'instruments de musique, à vent ou à cordes. Par ailleurs, au delà de la seule question de la fermeture du marché américain à l'Europe, l'U2P s'inquiète aussi du contre-coup de sa fermeture à la Chine. « Les colis de moins de 150 euros font déjà une concurrence terrible aux petits commerçants de vêtements, de droguerie, d'accessoires», pointe Michel Picon qui redoute une augmentation de ces flux. Souci supplémentaire, « de manière générique, tout ce qui inquiète les Français a un impact sur leur consommation, et donc, sur le business quotidien », ajoute le président de l'U2P.
Export et désorganisation des flux logistiques
Pour les ETI, entreprises de taille intermédiaires, le choc trumpien est frontal, et ses effets se font déjà sentir. « La moitié des ETI voient leur activité et leur rentabilité baisser », prévient Frédéric Coirier, co-président du Meti, Mouvement des entreprises intermédiaires. D'après un très récent sondage auprès d'adhérents, « 50 % des ETI sont fortement exposées aux États-Unis. Elles sont donc concernées très directement. Certaines d'entre elles ont augmenté leurs stocks locaux, certaines vont investir aux États-Unis. Dans les derniers baromètres, les intentions d'investissements qui étaient majoritairement tournées vers la France et un peu moins à l'international se sont inversées », poursuit Frédéric Coirier. Globalement, pour ces 6 800 entreprises que compte la France, le sujet de l'export est « vital ». Elles représentent un tiers des exportations nationales, selon le Meti. Dans le détail, « 86% des ETI exportent et pour la moitié d'entre elles, cela représente la moitié du chiffre d'affaires, que ce soit en direct avec leur marque, soit elles font partie de la chaîne de valeur de secteurs clés, comme l'aéronautique ou le luxe », ajoute Frédéric Coirier. Au delà la question de la fermeture du marché américain, le choc des droits de douane risque d'avoir des effets indirects « presque plus graves », met en garde le co-président du Meti. Les turbulences sur le commerce international ont aussi pour effet de désorganiser les chaînes d'approvisionnement des entreprises, avec potentiellement, un fort impact sur leur activité.
Plus de fermeté, moins de dépenses publiques
Comment réagir à cette situation de crise ? En agissant avec calme et discernement dans les négociations avec les États-Unis, répondent les représentants patronaux. Par exemple, Fabrice Le Saché, vice-président du Medef , rappelle le risque de « sur-exposer » des secteurs tels la cosmétique ou les vins et spiritueux, en prononçant des sanctions qui pourraient en déclencher d'autres en retour. L'Union Européenne avait ainsi déclaré soumettre le bourbon américain aux droits de douanes réciproques de 25% avant de renoncer, Donald Trump ayant brandi une surtaxe de 200% sur vins et spiritueux.
Pour autant, les patrons attendent de l'Union Européenne plus de fermeté. Ainsi, Amir Reza-Tofighi, président de la CPME, Confédération des petites et moyennes entreprises, invite à « mieux contrôler les importations » et à « stopper la concurrence déloyale ». Par exemple, « nous savons que beaucoup de viande venue du Canada ne respecte pas les normes sanitaires européennes. On ne fait rien face à cela », dénonce-t-il. Stratégiquement, face à la fermeture du marché américain et l'incertitude que représente la Chine, les patrons plaident pour une diversification des partenaires commerciaux. A ce titre, Amir Reza-Tofighi pointe l'extrême lenteur des négociations pour un accord de libre-échange de l’UE avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay,Uruguay, Bolivie) qui ont démarré en 2000. Fabrice Le Saché regrette l' « échec » du Ceta, Comprehensive Economic and Trade Agreement, avec le Canada, signé en 2016 qui n'a pas encore été ratifié par les parlements de tous les pays. Le vice-président du Medef avance la piste « d'accords thématiques qui peut-être excluent l'agriculture », qui pourrait être évoquée avec l'Inde, mais aussi, les Émirats Arabes Unis, l'Indonésie, les pays d'Asie du Sud-Est,l'Afrique du Sud...
Une autre analyse fait consensus : une partie de la réponse à la crise internationale réside dans la compétitivité des entreprises en France. Et donc, dans les choix – plus ou moins favorables à une politique de l'offre- qui présideront au budget 2026 en préparation. Et Amir Reza-Tofighi de questionner : « Est-ce que l'on aura un budget courageux ? ».
Anne DAUBREE