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Les professionnels de la logistique s'adaptent aux bouleversements du monde

Barrières douanières, troubles géopolitiques, dérèglements climatiques... Transporteurs et logisticiens adaptent leurs pratiques et itinéraires. Mais les coûts augmentent.

(c) adobestock
(c) adobestock

Quand tout se passe bien, ces métiers restent dans l'ombre... Le 26 juin, à Paris, en marge de l'Assemblée générale de TLF, Union des entreprises de transport et de logistique de France, une table ronde était consacrée aux difficultés récentes subies par ces professions. Troubles géopolitiques – guerre commerciale comprise- et climatiques, « ces perturbations désorganisent les chaînes logistiques », explique Anne-Sophie Fribourg, présidente de la Commission maritime de TLF Overseas. Les exemples ne manquent pas. A cause des attaques des Houthies, les cargos de fret ont dû renoncer au canal de Suez pour passer par le cap de Bonne Espérance. Les prestataires dans les ports et les transporteurs ont connu une activité en dents de scie en fonction des réactions rapides des importateurs américains aux évolutions brutales des droits de douane (ou aux annonces). L'assèchement du Canal de Panama – conséquence du réchauffement climatique – limite le trafic...

Par ailleurs, au delà de ces crises localisées ou ponctuelles, « la déclaration de guerre économique de Trump envers la Chine, et aussi, le monde développé a déstabilisé les commissionnaires ( de transport ) et leurs clients », pointe Anne-Sophie Fribourg. Résultat : alors que depuis le début de l'année, les volumes étaient en hausse, le monde de la logistique et des transports doit revoir ses prévisions d' activité selon la baisse du commerce international, prévue par tous les experts en 2025.

Des corridors « étroits et complexes »

Autre constat des professionnels, les désorganisations qui naissent des troubles géopolitiques engendrent des surcoûts et des délais supplémentaires. Par exemple, le trajet via le cap de Bonne espérance coûte 30% de plus que celui via le canal de Suez, pour un temps supérieur. « C'est pris en compte dans les organisations, dans les plannings d'approvisionnement », commente Anne-Sophie Fribourg.

Le transport aérien est également concerné. Depuis plusieurs années, en raison du conflit russo-ukrainien, il est devenu impossible de survoler ces deux pays. Par exemple, pour aller de Paris à Singapour , il faut contourner l'espace aérien ukrainien. «Les corridors deviennent de plus en plus étroits et complexes », note Philippe de Crécy, directeur des affaires publiques de Ceva logistics (17 milliards de dollars de chiffre d'affaires). Autre souci, suivant le même principe, un vol Air France qui part de Paris pour atterrir à Pékin mettra 2 heures 30 de plus que celui d'une compagnie chinoise qui a le droit de survoler la Russie. « Cela représente au total 5 heures de moins, soit entre 70 et 80 000 euros par rotation. C'est énorme. Cela crée une distorsion de concurrence entre les compagnies aériennes européennes et chinoises très importante », ajoute Philippe de Crécy. Les problèmes dans l'espace aérien ne se cantonnent pas à la Russie et à l'Iran. Aujourd'hui, alors que le Moyen- Orient s'embrase, survoler le Yémen, Israël, l'Iran est devenu impossible. Dans la région,

« cela s'ouvre, cela se ferme, cela change tous les jours (…) Il faut être hyper réactif », témoigne Frédéric Mercier, président du directoire de Mathez Freight, transitaire international (55 millions d'euros de chiffre d'affaires). L'aérien ? « haut en prix et bas en service », résume le dirigeant.

Les nouvelles routes

Pour faire face à la multiplication des troubles, les professionnels s'adaptent sans cesse. Par exemple, « de nouvelles routes maritimes se dessinent », illustre Anne-Sophie Fribourg. Depuis plusieurs années, avec la guerre commerciale entre États-Unis et Chine, les transporteurs ont vu la demande augmenter pour la destination Vietnam, l'un des pays dits « Chine+1 ». Cette année, CMA-CGM, géant du transport maritime, a annoncé un investissement de d'ordre de 600 millions de dollars, afin de développer un port en eaux profondes dans le nord du Vietnam, à Hai Phong. En alternative au canal de Suez, un nouveau projet avait été acté en 2023, au G20 de Delhi : l’IMEC, un corridor logistique multimodal de 4 800 kilomètres qui connecte les ports de l’Inde, du Moyen-Orient et de l’Europe (Marseille). Mais le projet qui prévoyait un passage par Israël, a été brutalement remis en cause par la guerre à Gaza…

Dans le milieu de la logistique, on évoque les nouvelles stratégies des entreprises, - nearshoring, friendshoring - qui visent à sécuriser des approvisionnements plus proches du marché de destination ou dans des pays « amis ». Frédéric Mercier observe aussi que la pression croissante des enjeux environnementaux est en train de « changer la logistique ». En la matière, partant du principe que cette contrainte ainsi que celles géopolitiques, ne vont faire qu' augmenter, « Il va falloir passer d'un modèle ultra tendu à un autre plus adaptatif », préconise Frédéric Mercier.