Entreprises
Les retards de paiement entre entreprises grimpent fortement
Spécificité française, les retards de paiement entre entreprises ont augmenté en 2024, signe de la tension croissante sur les trésoreries. L'État s'efforce de réagir par l'incitation et le renforcement des sanctions.

La dégradation est manifeste et elle est plus sensible en France que dans le reste de l'Europe. Le 10 juillet, l'Observatoire des délais de paiement a rendu public son rapport annuel 2024 qui constate une augmentation des retards de paiement entre entreprises en France. Ils ont atteint 13,6 jours, soit un jour de plus qu'en 2023. C'est aussi plus que la moyenne européenne qui s'établit à 13,4 jours, niveau resté relativement stable depuis l'an dernier. Dans le détail, les Pays-Bas, en tête des pays les plus vertueux, affichent un retard moyen de trois jours seulement devant l'Allemagne (6,6 jours). Contrairement à la France, le Royaume-Uni a vu diminuer ses retards qui descendent à 11,2 jours. Suivent l'Irlande (11,6 jours) et la Belgique (12,7 jours). Derrière la France : l'Italie (16,5 jours) et le Portugal (24 jours).
L'Observatoire constate plusieurs autres phénomènes qui suivent la même tendance. A commencer par les « grands retards » ( supérieurs à 30 jours) : leur proportion a augmenté en France, passant de 8,3% au dernier trimestre 2023 à 9,1 % en 2024, un taux qui n’avait pas été franchi durant la période Covid. Là aussi, l'évolution française s'écarte de celle européenne. L’Europe termine l'année à 8,8 %, un taux globalement stable pendant 18 mois. Et trois pays seulement font pire que la France : le Portugal (15,5 %), l’Italie (11,4 %) et l’Espagne (10,5 %).
Dans le même sens aussi, la proportion d'entreprises qui règlent leurs fournisseurs en temps et en heure a nettement diminué en France, gommant des progrès réalisés les trois dernières années. Au quatrième trimestre 2024, elles ne sont que 46,2 % contre 49% à l'été 2023. Le taux est légèrement inférieur à celui européen, avec une entreprise sur deux qui a réglé ses fournisseurs sans retard l’an passé, au terme d'une légère progression. Là aussi, quelques pays font encore moins bien que la France : l'Espagne (45%), l'Italie (41%), la Belgique (40%), et le Portugal (20%).
Les PME, dans la moyenne des retards
L'évolution du profil des mauvais payeurs constatée par l'Observatoire constitue un autre signal inquiétant. En effet, signe de tensions sur les trésoreries, l'augmentation du taux de mauvais payeurs est plus marquée chez les petites entreprises, traditionnellement plus vertueuses. En particulier, les retards se sont fortement accrus chez les microentreprises de moins de 10 salariés, pour atteindre près de 15 jours. Les PME de 50 à 199 salariés se situent dans la moyenne nationale. Et les grands groupes ( plus de 1 000 salariés) conservent le record des plus mauvais payeurs du secteur privé, avec 17,8 jours de retard.
Dans le secteur public, les délais de paiement des établissements publics de santé se dégradent. En moyenne, ils atteignent 63,4 jours, et même 121 jours en outre-mer ( après une augmentation de 10 jours en 2024), au-delà du délai réglementaire. En revanche, l'Observatoire constate « une nouvelle amélioration des délais de paiement sur le périmètre des dépenses de l’État, avec un délai moyen de paiement de 14,2 jours en 2024 et 89,3 % de paiement sous les 30 jours ». Les résultats diffèrent selon les ministères. Ils vont de 7,2 jours pour le ministère des Sports et Jeux olympiques et paralympiques à 29,6 jours pour celui de la Justice, qui fait partie des dix qui ont amélioré leurs performances.
Dans les collectivités locales aussi, les délais se sont améliorés, passant de 20,9 jours en 2023 à 19,7 jours l’an passé. Mais les écarts sont parfois importants selon les territoires, avec une même corrélation que chez les entreprises entre la taille de l'entité et l'ampleur du retard.
Alourdir fortement les sanctions
L'enjeu de ces retards de paiement est bien connu : 15 milliards d'euros de trésorerie dont pourraient utilement disposer les PME, rappelle l'Observatoire des délais de paiement. Lors de la publication du rapport, Véronique Louwagie, ministre déléguée en charge du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises, a annoncé vouloir renforcer les contrôles et augmenter le plafond de sanctions qui pourrait aller jusqu'à 1% du chiffre d'affaires mondial des mauvais payeurs.
Déjà, l’État s'efforce de contenir cette pratique aux effets délétères avec des mesures incitatives et d'autres répressives. Côté répression, la DGCCRF, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, met la pression. En 2024, elle a réalisé des contrôles dans 737 établissements – dont 20 entreprises publiques- relevant 42 % d'anomalies de plus qu'en 2023. Au total, elle a prononcé 69 millions d'euros d'amendes, contre 58,4 millions d’euros en 2023.
Côté incitation, le label public « Relations fournisseurs et achats responsables (RFAR) » s'efforce de promouvoir les pratiques d’achats responsables. Aujourd’hui environ 120 organisations privées et publiques ont obtenu ce label créé en 2012, représentant quelque 170 milliards d’euros d’achats annuels. En outre, le Médiateur des entreprises (qui dépend de Bercy) accompagne des filières dans l'élaboration de règles communes incluant des pratiques d'achat responsables.
Selon l'Observatoire, « la majorité des contrôles réalisés permet de mettre en exergue des défaillances en matière d’organisation comptable ». Mais par ailleurs, « des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) ont relevé des difficultés pour les entreprises à payer dans les temps, notamment dans le secteur industriel, résultat pour partie des difficultés économiques affectant les secteurs contrôlés (crises, inflation, concurrence accrue…) et rendant par extension plus difficile le respect des délais de paiement ».