Loi Duplomb : la mobilisation ne faiblit pas
Néonicotinoïdes, méga-bassines, élevage intensif… La promulgation de la loi Duplomb, partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, n’a pas mis fin aux tensions. Et de nouvelles batailles parlementaires s’annoncent.

Après une longue bataille parlementaire, des manifestations d’agriculteurs et une forte mobilisation citoyenne, la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (dite loi Duplomb) a été publiée au Journal officiel du 12 août dernier, cinq jours après la décision du Conseil constitutionnel qui l’a amputée d’une de ses dispositions les plus contestées.
Les juges valident la procédure d’adoption de la loi
Saisi de trois recours déposés par des députés et des sénateurs issus des rangs de la gauche, le Conseil constitutionnel a tout d’abord estimé que la procédure d’adoption de la loi « n’a pas méconnu » ni le droit d’amendement, ni les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Pour mémoire, la proposition de loi a été adoptée sans débat en séance publique à l’Assemblée nationale, après le vote d’une motion de rejet préalable portée par le rapporteur du texte, avec le soutien du gouvernement, pour contourner l’obstruction des partis de gauche qui avaient déposé un grand nombre d’amendements. L’accord sur le texte définitif a ensuite été conclu dans le cadre de la commission mixte paritaire (CMP) – à huis clos.
Pas de nouvelle dérogation pour les néonicotinoïdes
Le Conseil constitutionnel a en revanche censuré l’article qui prévoyait de réintroduire des dérogations à l’utilisation de trois pesticides de la famille des néonicotinoïdes interdits en France, dont l’acétamipride, un insecticide dont la réautorisation est demandée par certains agriculteurs, notamment dans la filière de la betterave à sucre. Estimant que les produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ont des « incidences sur la biodiversité », « des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols » et « induisent des risques pour la santé humaine », le Conseil a justifié la censure de ces dispositions au nom du droit à vivre dans un environnement sain, consacré par la Charte de l’environnement (intégrée au « bloc de constitutionnalité » depuis 2005).
Dans un avis datant de 2020, les juges constitutionnels avaient reconnu la dangerosité des néonicotinoïdes tout en autorisant des dérogations à l’interdiction de les utiliser pour la filière de la betterave jusqu’en 2023. Cette fois, ils ont jugé que, « faute d’encadrement suffisant », la dérogation prévue par la loi Duplomb méconnaissait le cadre défini par la jurisprudence de 2020 – ce qui ne ferme donc pas la porte à des demandes de dérogation plus encadrées, à l’avenir.
Des réserves d’interprétation pour les stockages d’eau agricoles
Le Conseil constitutionnel a également formulé deux réserves d’interprétation concernant les dispositions du texte qui visent à faciliter l’implantation d’ouvrages de stockage d’eau, dont les méga-bassines, en leur accordant une présomption « d’intérêt général majeur », ce qui leur permet de bénéficier de certaines dérogations au Code de l’environnement. La première réserve précise que ces dispositions n’autorisent pas les prélèvements dans des nappes « inertielles » (qui se vident et se remplissent lentement), et la seconde qu’il est donc toujours possible de contester la présomption d’intérêt général majeur d’un projet devant le juge. Le Conseil souligne aussi que cela ne dispense pas l’autorité administrative compétente de s’assurer qu’il n’existe pas « d’autre solution satisfaisante ».
Procédures simplifiées pour les plus gros élevages
Le texte final prévoit également un certain nombre de simplifications administratives pour les plus gros élevages, et notamment le rehaussement des seuils à partir desquels une étude d’impact environnemental est obligatoire pour les élevages de volaille et de porcs. Et en ce qui concerne la consultation des riverains de ces bâtiments d’élevage, l’organisation de réunions publiques est remplacée par des permanences en mairie. Autre disposition contenue dans cette loi : l’annulation de la séparation entre la vente et le conseil en matière de produits phytosanitaires, une règle issue de la loi Egalim de 2018 qui visait à garantir l’indépendance et la qualité du conseil délivré aux agriculteurs.
De nouvelles batailles parlementaires en perspective
Dès la publication de la décision du Conseil constitutionnel, la coordinatrice nationale du parti Génération Écologie, la députée Delphine Batho (Deux-Sèvres), soutenue par la gauche, a annoncé son intention de déposer une proposition de loi pour obtenir l’abrogation de toutes les dispositions de la loi Duplomb. Le 24 août, lors de son discours aux universités d’été de La France insoumise, la cheffe des députés LFI, Mathilde Panot, a déclaré que son groupe allait déposer une proposition de loi visant à abroger toutes les dispositions restantes fin novembre, lors de sa niche parlementaire. De son côté, le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains, Haute-Loire), soutenu par une majorité des élus de droite et d’extrême droite, a déclaré préparer une nouvelle proposition de loi pour réintroduire des dérogations à l’usage des trois pesticides interdits en France, en tenant compte de toutes les exigences imposées par le Conseil constitutionnel.
Une forte mobilisation citoyenne
Alors le gouvernement ne parvient pas à répondre à la crise agricole et à la colère des agriculteurs qui s’exprime ouvertement depuis janvier 2024, la mobilisation citoyenne reflète la fracture qui s’est installée entre une partie des Français et une partie du monde agricole.
En raison du succès rencontré cet été par une pétition citoyenne exigeant le retrait de la loi Duplomb (plus de 2,1 millions de signatures), la conférence des présidents de l’Assemblée nationale va devoir se prononcer, dès ce mois de septembre, sur la tenue d’un débat sur ce sujet au sein de l’hémicycle. À noter que, fin juillet, un collectif d’associations et de scientifiques du secteur de la santé, ainsi que le Conseil national de l’ordre des médecins, ont pris position contre l’utilisation des néonicotinoïdes en France.
Si les deux premiers syndicats agricoles, la FNSEA et la Coordination rurale, se sont insurgés contre la décision du Conseil constitutionnel, le troisième syndicat agricole, la Confédération paysanne, qui soutient la réorientation des politiques agricoles vers une transition agroécologique, a salué une « victoire en demi-teinte » – se félicitant de la fin des dérogations accordées à l’usage de ces pesticides et regrettant l’adoption des autres articles de la loi.