Industrie
Peut-on sauver l'industrie automobile ?
L'industrie automobile française fonce dans le mur, constate un rapport sénatorial. Ce dernier préconise des mesures de protection du marché, d'aide à la structuration de la filière et de relance. Une part importante de ces enjeux se joue à Bruxelles.
« Un désastre ». Le 15 octobre, à Paris, lors d'une conférence de presse, des sénateurs présentaient leur rapport consacré à « L'avenir de la filière automobile » contenant 18 recommandations basées sur un constat sans appel : «l'industrie connaît une crise profonde et durable et peut disparaître à court terme », prévient Annick Jacquemet, sénatrice du Doubs (Union Centriste) , rapportrice du rapport. Celui-ci rappelle qu'en 2023, déjà, la production domestique était de 40% inférieure à celle de 2019. Actuellement, la filière représente 800 000 emplois (350 000 chez les constructeurs et 450 000 chez les équipementiers). « Une immense partie de ces emplois pourrait disparaître dans les cinq à 10 ans », met en garde Alain Cadec, sénateur des Côtes d'Armor (app. LR) .
Les rapporteurs pointent plusieurs causes qui se sont articulées pour en arriver à cette situation. A commencer par la baisse du nombre de voiture neuves vendues en France ( -20% depuis la crise sanitaire). Les constructeurs automobiles ont leur part de responsabilité. Ils se sont concentrés sur une offre trop coûteuse : entre 2020 et 2024, les prix des voitures neuves ont augmenté de 24%. « Ils ont négligé le bas de gamme, ils le reconnaissent », note Alain Cadec. La tendance n'a fait que favoriser une autre dynamique mortifère pour l'industrie française, « la concurrence des acteurs extra-européens. La Chine est le premier pays du véhicule électrique. Elle concentre les deux tiers de la production et ses exportations mondiales ont quadruplé entre 2021 et 2023 », décrit Annick Jacquemet. Ces véhicules présentent un coût de 30% inférieur à celui de ceux européens à qualité égale, aussi en raison des « subventions colossales ». Et la sénatrice prévient : le flux vers l'Europe menace de grossir encore avec le retour du protectionnisme américain qui amplifie les surplus chinois. L' Union Européenne porte une double responsabilité dans cet état des lieux désastreux. Tout d'abord, avec le choix d'une date butoir (2035) irréaliste pour l'interdiction de la vente des véhicules thermiques neufs. « Ce n'est pas tenable. (…) La Chine a 10 ans à 15 ans d'avance sur notre technologie, notamment en matière de batteries », poursuit Alain Cadec. Et ensuite, par l'adoption de mesures « insuffisantes » selon Annick Jacquemet, pour éviter que les véhicules chinois n'envahissent le marché européen.
Un écoscore européen
Pour éviter ce « crash programmé » , les sénateurs émettent 18 recommandations concernant des enjeux qui se jouent pour l'essentiel à l'échelon européen. Les six premières mesures sont « urgentes ». A commencer par le report de la date d'interdiction de la vente des véhicules thermiques. Concernant la concurrence aussi, « il faut prendre des mesures d'urgence », avance Annick Jacquemet. A ce titre, les sénateurs préconisent un dispositif qui combine plusieurs mesures dont une forte augmentation des droits de douane sur les véhicules chinois, le temps que les constructeurs européens se mettent à niveau. A cette mesure s'ajoute l'imposition d'un contenu local européen pour les véhicules vendus en Europe de l'ordre de 80% pour les composants hors batterie. Et encore, la création d'un écoscore européen (favorable à la fabrication en Europe), clé d'éligibilité aux dispositifs de soutien à l'achat des consommateurs.
Une stratégie commerciale non dénuée de risques, face à une Chine qui pourrait adopter des mesures de rétorsion, en usant de son quasi-monopole sur les terres rares, conviennent les sénateurs. « Ils nous tiennent. (…) nous ne pouvons pas fabriquer de batteries sans faire appel à la Chine », admet Alain Cadec. Le reste des recommandations sénatoriales visent à « accompagner l'industrie automobile pour réussir la transition », en appuyant sur différents leviers (stimuler l'innovation, répondre aux enjeux sur les matériaux critiques, restaurer la compétitivité du secteur, soutenir le développement des gigafactories...). Pour répondre plus efficacement à la demande, les sénateurs proposent la création d'une nouvelle catégorie réglementaire de véhicule aux exigences de sécurité allégées (en contrepartie de restrictions de gabarit et vitesse). Renoncer à des dispositifs d'alerte qui se déclenchent lorsque la vitesse légale est dépassée permet de faire baisser les coûts des véhicules. Dans le même sens, le rapport propose de « développer un marché de l'occasion des véhicules électriques », notamment en mettant en place « un label européen de garantie » pour ces véhicules « incluant un diagnostic batterie certifié ». A ces 18 recommandations, Rémi Cardon, sénateur de la Somme ( Socialiste, Écologiste et Républicain) en ajoute une autre : il estime qu'en matière de véhicules électriques, le leasing social n'est pas accessible à suffisamment de Français. « II faut aller plus loin », préconise-t-il. Réponse dans le projet de loi de Finances 2026.