Sauvegarder l'article
Identifiez vous, pour sauvegarder ce article et le consulter plus tard !

Entreprises

Salariés aidants : un enjeu de société que les entreprises ne peuvent plus ignorer

Charge mentale, absentéisme, discrimination, déséquilibre de carrière… Le rôle des aidants interpelle autant la performance que la responsabilité sociale des organisations. Avec 4 à 6 millions d’actifs qui accompagnent régulièrement un proche en perte d’autonomie, les entreprises et partenaires sociaux doivent prendre la mesure du sujet.

© Adobe Stock.
© Adobe Stock.

Un salarié sur cinq serait aujourd’hui en situation d’aidant estime la Drees (ministère de la santé). Une proportion qui pourrait grimper, sous l’effet du vieillissement de la population, à un sur quatre en 2030 et à un sur trois d’ici dix ans. Une réalité encore peu visible dans le monde du travail : dans la plupart des entreprises, les aidants ( ceux qui accompagnent régulièrement un proche dépendant, malade ou handicapé) sont là, sans toujours se déclarer. Ainsi, seulement « 34 % des salariés aidants informent leur employeur de cette situation », signale Jean-Manuel Kupiec, secrétaire général de l’OCIRP (Union d'institutions de prévoyance à gestion paritaire). Le sujet reste tabou dans les entreprises, par crainte d’être jugé moins disponible et parce qu’il touche à la sphère privée, souvent entourée de confidentialité. Jean-Manuel Kupiec souligne qu’une personne aidante va en parler à son collègue, mais pas à son manager, DRH ou à la direction. Pour lui, le constat est clair : « Être aidant n’est pas reconnu comme une situation à part entière dans le monde du travail. Or c’est un véritable choc démographique qui s’annonce et un sujet de société qu’il faut prendre en compte. »

Ce que confirme Antoine Lajoanie, directeur des relations sociales de Sanofi, « Il faut laisser les entreprises s’emparer de ce sujet sociétal ». C’est ce qu’a fait l’industriel pharmaceutique, en formalisant un accord dès 2014, avec une définition assez large de l’aidance. « L’accord prévoit un ensemble de mesures : un fonds social, une assurance dépendance et la possibilité pour les salariés de faire don de jours de congé, en signe de solidarité. L’aidant peut ainsi recevoir jusqu'à 150 jours sans perte de salaire ». Et le groupe a mis en place « une plateforme pour accompagner les aidants dans leurs démarches ».

Sensibiliser et former les managers

Depuis 2017, l’entreprise, qui accompagne les salariés confrontés à la maladie dans le cadre de son programme « Cancer et Travail, Agir Ensemble » accorde des temps spécifiques et des aides financières aux salariés aidants ou confrontés à la maladie. Mais au-delà de ces dispositifs, elle veut faire évoluer les mentalités pour que ces situations soient reconnues comme faisant pleinement partie de la vie professionnelle, et non comme un fardeau pour les équipes ou l’entreprise. Un changement culturel qui passe d’abord par les managers, en première ligne face à ces situations. Jean-Manuel Kupiec met en avant le « problème de sensibilisation, d'information et de formation » de ces derniers. Pour lui, « le sujet n'est pas traité sur les managers » car ils ne sont pas préparés » et sont « pris entre la direction et les salariés ». Pour Stéphanie Lecot, experte de l’Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail ) en Auvergne-Rhône-Alpes, au-delà des formations, il faut également « mettre en place des actions de sensibilisation au sein des entreprises pour outiller les managers et faciliter le dialogue sur ces sujets ».

Repenser l’organisation du travail

Car il y a, selon elle, « beaucoup de questions à aborder au sein d'une équipe par le manager ». Le cœur du sujet restant l’organisation du travail : « Il faut créer des espaces de discussion dans les équipes. Il s’agit d’analyser concrètement l’impact, à court, moyen et long terme de l’absence du salarié aidant, d’identifier les priorités et les projets en cours, de déterminer ceux qui peuvent être reportés, puis d’ajuster les priorités et la répartition des responsabilités en conséquence », détaille-t-elle. Des changements qui doivent être « discutés avec l’ensemble des acteurs impliqués pour qu’ils ne subissent pas les choix opérés ». L’enjeu ? Eviter à la fois le surmenage de l’aidant et le déséquilibre collectif dans l’équipe. Ces ajustements, même modestes — horaires assouplis, télétravail partiel, délégation de certaines tâches —, permettent souvent d’éviter les arrêts de travail répétés.

Soutenir sans discriminer

Au-delà des aménagements, c’est la culture managériale qu’il faut faire évoluer. « Un salarié aidant ne doit pas être discriminé dans sa carrière », alerte Jean-Manuel Kupiec. Chez Sanofi, la direction a fait du sujet un axe stratégique. « Nous avons décidé de rendre obligatoire une formation interne sur l’accompagnement des salariés confrontés à des maladies graves ou à des situations d’aidance », explique Antoine Lajoanie. « C’est au management de montrer l’exemple : en intégrant le sujet dans le dialogue d’équipe, on brise les tabous et on fonde une véritable culture d’entreprise sur le sujet » L’entreprise a également introduit un congé aidant monde, ouvert jusqu’à douze mois, et protégé l’emploi des collaborateurs concernés.