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Sur la Côte d'Opale, le drame migratoire se mêle aux touristes

Pêcheurs le matin, baigneurs l'après-midi, migrants la nuit: la Côte d'Opale et ses stations balnéaires face à l'Angleterre sont devenues ces dernières années un point de départ privilégié des traversées clandestines de la...

La plage de Wimereux le 18 juin 2025, avec ses baigneurs et sa gare voisine où s'abritent quelques migrants en quête d'ombre © Sameer Al-DOUMY
La plage de Wimereux le 18 juin 2025, avec ses baigneurs et sa gare voisine où s'abritent quelques migrants en quête d'ombre © Sameer Al-DOUMY

Pêcheurs le matin, baigneurs l'après-midi, migrants la nuit: la Côte d'Opale et ses stations balnéaires face à l'Angleterre sont devenues ces dernières années un point de départ privilégié des traversées clandestines de la Manche, chamboulant la paisible vie quotidienne locale.

Vague de chaleur oblige, le front de mer de Wimereux (Pas-de-Calais) est noir d'habitants et de touristes. Un couple de retraités sort en maillots de bain d'une cabine de plage d'une impeccable peinture bleu et blanc. Des adolescents se moquent de l'un de leurs amis et du coup de soleil qui s'étend sur tout son dos.

Cinq-cents mètres plus loin, à côté de la gare, chaque semblant d'abri est occupé par quelques migrants en quête d'ombre. Une soixantaine d'exilés viennent d'arriver après avoir été délogés des dunes d'où ils comptaient tenter de traverser la Manche, à quelques kilomètres de là.

"Cette ville, il y a tellement de touristes!", plaisante un jeune Somalien, tenant à la main une petite bouteille d'eau qu'il n'a pas encore osé ouvrir.

A peine le groupe de migrants était-il arrivé à Wimereux que Sylvie Baudelet et Florence Dufay ont accouru, déplié une table et préparé thé, café et tartines de confiture.

Résistance citoyenne

Elles sont membres d'"Alors on aide", un collectif d'habitants créé l'été dernier face à l'apparition à Wimereux et ses environs de campements provisoires, où les migrants restent quelques jours pour enchaîner les tentatives de traversée sans avoir à rentrer à Calais chaque soir.

Les traversées clandestines se multiplient dans cette zone, en raison de la supposée moindre présence des forces de l'ordre et de la proximité de la Slack, un petit fleuve côtier d'où peuvent partir discrètement des +taxi boats+, des bateaux qui remontent ensuite la côte pour récupérer leurs passagers.

Sylvie est retraitée et consacre une grande partie de son temps libre à des associations d'aide aux exilés; Florence est infirmière et n'attend que son départ en retraite dans quelques mois pour s'investir davantage.

"Ça a donné du sens à une partie de notre vie", explique Sylvie, qui avec son mari héberge parfois des exilés.

"Ça a quelque chose d'un acte de résistance citoyenne, parce que c'est insupportable, ce qu'ils vivent", souligne-t-elle, regrettant "l'indifférence" d'une partie du voisinage.

Sur le groupe WhatsApp du collectif, elle prévient manquer d'eau. Une dizaine de minutes plus tard, une autre membre, Catherine Filiatre, déboule toute heureuse: "J'ai 15 litres!"

Mais c'est le petit générateur à l'aide duquel les migrants peuvent recharger leurs téléphones qui remporte le plus grand succès. "C'est la première chose qu'ils nous demandent en arrivant", assure Arlet Onel, une autre riveraine.

Himmat, originaire de Mazar-e-Sharif dans le nord de l'Afghanistan, est angoissé: son téléphone s'est éteint avant qu'il ne puisse écouter un message laissé par ses parents, restés au pays. Il attend son tour pour pouvoir charger son portable quelques minutes.

Riverains en première ligne

Alors que Catherine part avec de l'eau et des biscuits à la rencontre des différents groupes de migrants, une famille traverse les rails, en maillots de bain, serviette sur l'épaule et parasol sous le bras, sans un regard.

Zabih, un Afghan qui a vécu quatre ans en Belgique, jette un oeil vers ses amis, allongés sur l'herbe: "En Belgique, si les gens voient ça, ils appellent la police. Ici, ils vous amènent de la nourriture et de l'eau", observe-t-il, médusé.

Mais tout le monde n'approuve pas cette bienveillance: "Un jour, j'ai été agressée à la gare par un gars qui m'a dit que j'étais la honte de la France", confie Florence, presque amusée à l'évocation de ce souvenir.

Loin de Calais et Dunkerque où se concentrent la plupart des associations d'aide aux migrants, ce sont souvent des riverains qui se retrouvent en première ligne pour aider les rescapés de départs avortés.

Ces derniers mois, ce fut le cas après des naufrages meurtriers à Ambleteuse et Neufchâtel-Hardelot, où des habitants ont préparé des boissons chaudes et sorti des couvertures de survie pour des survivants trempés à quelques mètres des habitations.

"Ce matin, en maraude, on a recroisé des Egyptiens qu'on avait hébergés", sourit Sylvie, émue. "La mère m'a prise dans ses bras" avant de repartir, pressée. Peut-être vers l'Angleterre.

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