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Transparence salariale : la France à la traîne

Adoptée en mai 2023, la directive européenne sur la transparence salariale doit être transposée en droit français au plus tard en juin 2026. L’étude Apec 2025 montre que les entreprises françaises sont encore loin d’être prêtes, alors même que les attentes des cadres sont fortes.


© Adobe Stock
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Le baromètre rémunération des cadres de l’ Apec révèle une montée progressive de la transparence salariale, stimulée par la future transposition de la directive européenne. En 2025, 65 % des offres d’emploi cadres publiées sur le site de l’Association pour l’emploi des cadres mentionnaient une rémunération, contre 47 % en 2019. L’Apec anticipe toutefois une accélération forte d’ici juin 2026, date maximale de transposition. Loin d’être un tabou français, la transparence autour des salaires est autant attendue par les cadres en France que dans les autres pays. Ainsi, 64% d’entre eux pensent que les salaires de chacun devraient être connus de tous dans l’entreprise. Une proportion similaire à celle des cadres allemands, espagnols ou italiens. En revanche, les cadres français se distinguent par un jugement nettement plus sévère envers leur organisation : 46 % qualifient leur entreprise d’opaque en matière salariale, contre 28 % en Italie, 33 % en Espagne et 38 % en Allemagne.

Ce sentiment d’opacité se traduit par une difficulté à se situer sur le marché. Près d’un cadre français sur deux estime ne pas connaître les niveaux de rémunération des postes équivalents dans sa propre entreprise, une proportion qui grimpe à 65 % dans les grandes organisations. Hors de l’entreprise, la situation n’est guère plus claire : 42 % des cadres affirment avoir du mal à évaluer leur positionnement salarial par rapport aux professionnels occupant un poste similaire dans d’autres entreprises, un niveau bien supérieur à celui observé dans les pays voisins. Une critique portée par la difficulté d’accès à la politique salariale des entreprises. Face à ces constats, les pratiques actuelles des entreprises françaises apparaissent encore éloignées des attentes de la directive.

Des offres d’emploi encore trop opaques sur les salaires

Pour l’heure, seules 46 % publient systématiquement le salaire dans leurs offres d’emploi, dont 82% une fourchette de salaire, alors que la moitié des cadres souhaitent disposer de cette information avant même de postuler. Pour Laetitia Niaudeau, directrice générale adjointe de l’Apec, « Si les employeurs n’affichent pas la rémunération lors de leur recrutement, c’est aussi pour ratisser plus large ». Pourtant, les organisations interrogées reconnaissent largement l’intérêt d’une telle transparence : 85 % estiment que l’affichage du salaire renforce l’attractivité des offres. C’est ce que rappelle Gilles Gateau, directeur général de l’Apec : « C’est statistiquement prouvé : une offre avec indicateur de salaire génère deux fois plus de réponse qu’une offre sans indication ». Les entreprises reconnaissent aussi que cette pratique contribue à l’efficacité du recrutement, en limitant les candidatures décalées par rapport au niveau de rémunération proposé. Dans les faits, elles s’appuient toutefois sur une flexibilité importante lors des négociations. Lorsqu’une fourchette salariale est affichée, 76 % affirment que les candidats peuvent négocier au-delà de ce plafond. De surcroît, 60 % des employeurs continuent de demander aux candidats leur salaire actuel ou précédent, un réflexe qui sera bientôt incompatible avec le futur cadre réglementaire.

62 % des managers anticipent des tensions dans leur équipe

L’écart entre le cadre réglementaire à venir et les pratiques observées tient aussi au faible niveau de préparation. Selon l’enquête menée par l’Apec, 74 % des entreprises n’ont engagé aucune démarche pour anticiper la directive. Les dirigeants et DRH interrogés soulignent plusieurs difficultés à venir : l’analyse des données salariales, la mise à jour des classifications internes, l’ajustement des rémunérations lorsque des écarts injustifiés apparaîtront, ou encore la formation des managers à des pratiques plus transparentes.

Six managers sur 10 estiment qu’il leur sera difficile de justifier certains écarts, car ils n’étaient pas forcément aux commandes auparavant, ne disposent pas toujours des éléments objectifs et doivent composer avec un historique qui les dépasse. « Cela les inquiète, car cela va les obliger à travailler davantage sur les entretiens annuels, sur la fixation des objectifs et à communiquer plus qu’aujourd’hui sur le sujet des rémunérations dans leurs équipes », prévient Laetitia Niaudeau. L’effort est souvent perçu comme conséquent, notamment en termes de temps, d’organisation et de ressources financières.

La transparence exigée par la directive risque également de modifier les équilibres internes. « Le chantier de la transparence va être très consommateur d’énergie et de moyens dans les entreprises », poursuit-elle. Parmi les managers interrogés, 62 % anticipent des tensions ou des conflits au sein de leur équipe, lorsque les comparaisons salariales deviendront plus accessibles. Ces éléments traduisent un enjeu plus large que la seule conformité réglementaire : celui de la cohérence et de la lisibilité des politiques salariales internes.

Malgré ces craintes, l’étude pointe aussi des effets potentiellement positifs. La directive pourrait ainsi favoriser une baisse des inégalités salariales, notamment femmes/hommes, renforcer la confiance entre salariés et employeurs et, au sein des équipes, améliorer l’équité dans la gestion des augmentations. Elle pourrait également contribuer à fluidifier le recrutement, en permettant aux entreprises de cibler davantage de candidats dont les attentes salariales sont en phase avec les postes proposés.


Les obligations de la directive

La directive vise à renforcer l’égalité de rémunération entre femmes et hommes à poste, à valeur équivalente, en imposant une transparence accrue à l’embauche et au cours des parcours professionnels. Elle prévoit, notamment, l’obligation d’afficher un salaire ou une fourchette dans les offres d’emploi, l’interdiction de demander aux candidats leur rémunération précédente, l’accès facilité pour les salariés aux critères de rémunération utilisés par l’entreprise et, pour les structures de plus de 100 salariés, la publication d’indicateurs salariaux ventilés par sexe. Lorsque des écarts supérieurs à 5 % ne peuvent être justifiés par des critères objectifs, des mesures correctrices devront être mises en œuvre.