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Union Européenne : l'épreuve de la fermeté face à Trump
Comment réagir face à l'offensive douanière de Donald Trump ? L'Union Européenne doit concilier enjeux économiques et géopolitiques confrontée à un président des États-Unis à la stratégie illisible.

Casse-tête économico-diplomatique. Le 13 mai, le Conseil franco-allemand des experts économiques dévoilait les conclusions d'une note consacrée à « Un nouvel ordre commercial international ? Comment l'Europe doit répondre à la politique commerciale américaine », lors d'une conférence de presse à Paris. Le 2 avril, Donald Trump, président des États-Unis, a ouvert une séquence inédite qui bouleverse l'ordre du commerce mondial, théoriquement basé sur le multilatéralisme. En cause : son annonce de hausses importantes des droits de douanes différenciées par pays, suivie, une semaine plus tard, d'un moratoire de 90 jours. Lequel prévoit, entre temps, l'application de droits de douane de l'ordre de 10% pour la quasi-totalité des pays (à l'exception notable de la Chine + 145 points ) et des produits (avec des exceptions dont la liste ne fait que s'allonger).
« A ce stade, les coûts économiques sont surtout portés par les États-Unis et la Chine », explique Xavier Jaravel, président délégué du CAE, Conseil d'analyse économique, qui réalise des études pour Matignon. Les deux pays pourraient accuser une baisse de 1 à 1,5% de leur PIB. L'impact serait mineur pour l'Union Européenne (- 0,15%, en moyenne), un peu plus faible en France, un peu plus fort en Allemagne. Toutefois, certains secteurs seraient très impactés, comme l'automobile allemande ( -7%) ou les équipements de transport français (-3,1%). Au niveau européen , « il s'agit d' un choc très important, mais gérable au plan macroéconomique », résume Xavier Jaravel. Néanmoins, la situation est loin d'être stabilisée. Le 12 mai, les États-Unis ont fini par renoncer à la quasi-totalité des « droits réciproques » imposés en avril à la Chine. Et l'échéance du moratoire vis-à vis de l'Europe court jusqu'à début juillet. Si, à cette date, Donald Trump revenait à la solution des droits de douane réciproques, le coût pour l'Europe serait nettement plus élevé ( entre 0,22 et 0,33% du PIB ). Que veut réellement Donald Trump ? Comment l'Europe peut-elle peser sur le choix du président américain à la trajectoire illisible ?
« Le temps joue plutôt en faveur de l'Europe »
C'est peu dire que l'UE est face à des choix stratégiques délicats. Il lui faut concilier enjeux économiques et géopolitiques, souplesse et fermeté. En résumé : réagir à une hausse des droits de douane de l'ordre de 10%, qui n'a pas un impact économique très important sur l'Europe, en suscitant des représailles américaines serait contre productif. Toutefois, une absence totale de réaction semble impensable : l’impératif de crédibilité politique l'impose, dans le contexte géopolitique actuel où l'Europe doit affirmer son existence face à un allié américain qui l'est toujours moins. A ce titre, avec le moratoire, « le temps joue plutôt en faveur de l'Europe. (…) Il faudrait annoncer de potentielles représailles que l'Europe a les moyens d’exercer et qui peuvent effectivement inciter les USA à revenir sur leur position », analyse Antoine Bouët, directeur du CEPII, Centre d’études prospectives et d’informations internationales, centre français de recherche et d’expertise en économie internationale. Dans le détail, sur la nature de ces représailles, il serait judicieux de « favoriser les droits de douane sur les biens finaux plutôt qu'intermédiaires qui diminuent la compétitivité des biens européens », ajoute l'expert. L' UE pourrait cibler des catégories de produits pour lesquels elle représente plus de 20% des importations américaines (chimie, instruments de mesure, optique...). Autre outil possible, la taxation d'importations qui pourrait être appliquée notamment aux fertilisants, à l'image de ce que fait la Chine avec les terres rares. Et à l'extrême, le règlement anti-coercition de l'Union européenne offre d'autres outils encore, comme l'exclusion des entreprises américaines des marchés publics européens.
Par ailleurs, au delà de la réponse directement adressée à l'Amérique, « il faut continuer à ouvrir des marchés (…) pour réduire le coût du protectionnisme américain », préconise Antoine Bouët, évoquant le Mercosur, mais aussi l'Inde ou l'Indonésie. Et l'Europe doit-elle se préparer à réagir à un afflux de produits chinois qui se reporterait des États-Unis ? « Il faut savoir si cela arrivera. Cela impliquerait que les exportations chinoises vers les États-Unis correspondent à ce que l'Europe achète à la Chine. Cela n'est pas évident. En 2018, par exemple, il y a eu assez peu de réallocation vers l'Union Européenne. Mais si cela arrive, nous disposons d'instruments qui nous permettent de nous protéger », explique Xavier Jaravel. Des mesures antidumping ou compensatoires pourraient être appliquées. Ou le dialogue, face à une Chine confrontée à une faible croissance interne et comme telle, soucieuse de conserver le marché européen. A condition, là aussi, d’apparaître ferme...
Anne DAUBREE