Mobilité
Bateau, boulot, dodo, un rêve de transporteurs
Prendre le bateau, plutôt que le bus ou le tram, pour ses déplacements quotidiens ? Plusieurs villes disposent de services urbains fluviaux ou maritimes. Le succès de ces navettes n’est pourtant pas garanti. Elles doivent être à la fois plus rapides et davantage pratiques que les transports terrestres, et c’est rarement le cas.

Sous le soleil de plomb, une trentaine de personnes patientent sur un quai du quartier Confluences, un ensemble architectural moderne entre Saône et Rhône, à Lyon. Après un bon quart d’heure de transpiration, des enfants montrent enfin du doigt le bateau tant attendu. Une dizaine de minutes, encore, et tous les passagers seront montés sur la vedette fluviale, qui peut en contenir 70. L’embarquement aura pris du temps. Certains passagers, munis d’une carte de transport, croient à tort qu’il suffit de la passer sur le valideur. Mais le service Navigône, qui vogue depuis le mois de juin, coûte 3 euros, un de plus qu’un ticket de métro ou de bus. En outre, le terminal de carte bancaire s’enraye. « Avec la forte fréquentation de l’après-midi, ça arrive souvent », déplore le capitaine.
Enfin, l’embarcation s’élance sur la Saône. Les passagers sortent leurs téléphones et publient aussitôt leurs photos et vidéos sur les réseaux sociaux. Après le passage sous les voies de la gare de Perrache, le parcours offre des vues inédites, en contre-plongée, sur les hauts immeubles pastels du centre de la capitale rhônalpine, tandis que chacun reconnaît la cathédrale Saint-Jean ou la basilique de Fourvière. Quarante-cinq minutes de navigation et deux arrêts plus tard, la navette accoste sur le quai du quartier de Vaise, non loin de la gare du même nom. A chaque arrêt, une annonce sonore indique les correspondances avec le métro, le bus ou le tramway. Car Navigône est pensé comme un transport public urbain. En 2026, les deux bateaux à propulsion thermique seront remplacés par quatre embarcations électriques, ce qui réduira le temps d’attente à un quart d’heure aux heures de pointe.
Cet été, toutefois, le bateau attire surtout des curieux. Christine (prénom d’emprunt) a parcouru 5 kilomètres à pied depuis son domicile à Villeurbanne pour le plaisir de naviguer. « J’avais envie d’essayer. Mais comme j’ai le mal de mer, j’ai choisi un jour où il fait beau », confie-t-elle avant de grimper sur la passerelle. A ses côtés, une famille entière, des grands-parents aux petits-enfants, profite d’une journée de distraction à peu de frais. Sur le devant du bateau, un groupe de Néerlandais s’étonne d’apercevoir « la tour Eiffel », en réalité la tour métallique de Fourvière, qui sert de relais téléphonique. Le capitaine confirme : « on a beaucoup de monde, mais pas ceux que l’on espérait. Le service prend surtout des clients aux navettes de tourisme ».

© Olivier Razemon
Navettes maritimes à Toulon, La Rochelle, Lorient
Le transport urbain fluvial, ou maritime, est-il un service de mobilité quotidienne ou un mode destiné aux loisirs ? Cela dépend, même si l’un n’exclut pas l’autre. Lorsque le ralliement d’un point à un autre, par l’eau, présente un avantage significatif en termes de temps, le service attirera des citadins pressés. Si à l’inverse, le déplacement est plus lent ou plus compliqué que les autres modes, l’intérêt se résumera au plaisir de se déplacer sur l’eau. A Lyon, Navigône est, sur le papier, plus rapide que les transports publics (45 minutes contre 50 d’un bout à l’autre de la ligne), mais c’est compter sans les temps d’attente et d’embarquement, sur des quais éloignés des autres moyens de transport. Le 6 août, le service avait enregistré 50 000 passages depuis le 18 juin. Soit 1000 par jour, contre plusieurs centaines de milliers pour chaque ligne de métro lyonnaise.
A Paris, le service Voguéo avait circulé entre 2008 et 2011 sur la Seine et la Marne, entre la gare d’Austerlitz et Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Mais le parcours était concurrencé par une ligne de RER et une autre de métro, la navette ne circulait que toutes les 20 minutes à la pointe, et la fréquentation s’avérait insuffisante pour justifier sa prolongation les années suivantes.
A l’inverse, lorsque les contraintes géographiques rendent les alternatives complexes, le transport par l’eau se révèle précieux, voire indispensable. Dans la rade de Toulon, les lignes qui relient le port commercial de la préfecture du Var à La Seyne-sur-Mer ou à Saint-Mandrier, villes de l’agglomération, ne fonctionnent que toutes les demi-heures mais s’avèrent plus rapides que la voie terrestre, surtout l’été, quand les embouteillages ralentissent le trafic. A Lorient (Morbihan), plusieurs lignes maritimes desservant des communes situées dans la rade sont inclues dans l’abonnement aux transports publics. A La Rochelle, un service relie le Vieux port au port de plaisance.
En dépit des évidences géographiques, le transport par bateau continue à faire rêver. En Ile-de-France, la société RiverCat propose un successeur aux navettes Voguéo et aux coches d’eau qui naviguaient jusqu’au 19ème siècle sur la Seine. A écouter l’argumentaire des fondateurs de la société, les avantages seraient nombreux, du lien établi entre Paris et sa banlieue aux navettes « éco-responsables » en raison de leur propulsion électrique et à la possibilité d’embarquer son vélo à bord. RiverCat propose quatre lignes, essentiellement concentrées dans les départements de la petite couronne. Pour l’heure, la société n’a pas réussi à convaincre au-delà d’un service estival en banlieue est, sur la Marne. La principale ligne proposée, entre Alfortville (Val-de-Marne) et Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), promet un parcours d’une heure et quart, avec un départ toutes les 20 à 30 minutes. Le gain de temps demeurerait minime par rapport aux transports publics, sauf pour un trajet porte à porte (ou plutôt de port à port).
Malgré ces contraintes, Éric Sapin, soutien de RiverCat et animateur de l’association Alternat, qui propose des voyages fluviaux aux écoliers et aux habitants de l’Essonne sur une péniche datant des années 1950, continue d’y croire. « Les habitants des villes sont avides d’alternatives à la route et aux transports en commun », affirme-t-il. Accepteront-ils d’y passer plus de temps ?