Entretien avec Carole Ribeiro, présidente de l'Union des maires de l'Aisne
À la tête de l’Union des maires de l’Aisne depuis novembre 2023, Carole Ribeiro, maire de Couvron-et-Aumencourt, près de Laon, présidente du Pays de la Serre, a relancé une association en perte de vitesse. Alors que vient d'avoir lieu le congrès des maires de l’Aisne qui a fait peau neuve et a changé de lieu pour s’installer au Center Parcs du domaine de l’Ailette à Chamouille, la présidente fait le point sur les sujets d’actualité des maires, de la sécurité des élus jusqu’aux finances communales alors que se profilent les élections municipales en mars prochain.

Vous avez été élue à la tête des maires de l’Aisne en 2023, comment avez-vous appréhendé ce poste ?
J’étais très enthousiaste en devenant présidente de l’Union des maires de l’Aisne mais je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de travail. Je suis présente dans de nombreuses commissions départementales en préfecture et je rencontre beaucoup de monde, c’est intéressant et prenant. Je me suis également rendue compte que l’association était en perte de vitesse, sans doute liée au Covid, ce qui a réduit le nombre d’événements en dehors du salon annuel des maires. Il y a eu un gros travail à entreprendre pour recréer du lien et mener des actions pour les maires. Il a fallu aussi recruter une nouvelle directrice, remettre en place des actions, aller chercher de nouvelles adhésions. C’était un vrai challenge. Le nombre d’adhérents a progressé, nous sommes aujourd’hui à 70% des maires qui adhérent à l’association. Le prochain objectif sera d’aller chercher davantage les adhésions des intercommunalités, les EPCI même si celles-ci ont leur propre fédération.
Quels changements ont pu être impulsés ?
Nous avons fait intervenir des juristes et des spécialistes de l’AMF sur différentes réunions d’information et nous avons fait un partenariat avec le centre de gestion. Cela a permis de déployer des réunions thématiques sur tout le département. Cela a été très intéressant et très suivi comme par exemple sur la question des documents obligatoires dans une commune. Cela ne se faisait plus et les maires ont répondu présent. Nous avons fait venir un spécialiste de la compétence eau et assainissement de l’AMF avant qu’il n’y ait un rétropédalage sur la question de ce transfert obligatoire, ou encore un juriste pour nous parler de la loi ZAN (Zéro artificialisation nette). Dernièrement, nous avons eu une visioconférence sur la communication et le financement de la campagne électorale pour les prochaines élections municipales.
Qu’en est-il de la formation des élus ?
C’est un sujet plus compliqué. Nous avons fait une réunion d’information sur le DIF (Droit individuel à la formation), le droit à la formation des élus. Là où on avait des formations intéressantes les dernières années, c’est quand on avait un interlocuteur qui avait un cabinet conseil mais il a pris sa retraite. Trouver une personne pouvant le remplacer n’est pas une chose évidente mais nous avons fait un partenariat avec un avocat de Lille qui nous propose des visioconférences sur les biens sans maître par exemple et ce genre de problématiques. Les communes n’ont pas forcément de référents juridiques donc cela a du sens.
Sur quels sujets les élus ont-ils le plus besoin de conseils de la part de l’AMF ?
Le grand sujet d’actualité, c’est la loi sur le scrutin de listes paritaires, désormais applicable à toutes les communes, y compris celles de moins de 1 000 habitants, ce qui a suscité des inquiétudes dans les petites communes. Le panachage ne sera plus possible, ni les candidatures individuelles. Seules des listes pourront être présentées, et tout bulletin comportant un nom barré sera nul. Dans les petites communes, c’est souvent perçu comme une contrainte, mais l’avantage est qu’on évite désormais le “tir aux pigeons”, lorsque le maire sortant était écarté pour avoir refusé un permis ou pris une décision qui déplaisait à quelques habitants. Cela rassure un peu les sortants en responsabilité. La loi tient toutefois compte de certaines spécificités : une liste sera considérée comme complète même si elle comporte deux candidats de plus ou de moins que le nombre légal. Avoir deux candidats supplémentaires est rassurant, car cela permet de pallier d’éventuelles démissions et d’éviter des élections complémentaires. À l’inverse, avoir deux candidats de moins rend la démarche plus accessible pour les communes qui peinent à remplir leur liste. Par exemple, dans une commune où sept conseillers doivent être élus, il sera possible de présenter seulement cinq candidats, par exemple trois hommes et deux femmes, ou inversement. Cela facilite aussi la constitution de listes équilibrées, notamment en matière de parité, sachant qu’il n’est pas toujours simple de trouver des femmes prêtes à s’engager. Il reste toutefois important de sensibiliser les électeurs : tout bulletin raturé ou annoté sera nul, et il faudra veiller à limiter l’abstention.
D’autres sujets comme la sécurité des élus sont apparus ces dernières années, est-ce le cas dans l’Aisne ?
Oui, c’est un sujet qui revient plutôt en force. On ne parle pas forcément d’agressions physiques mais plutôt d’agressions verbales, d’intimidations. Quelques cas nous sont remontés avec des situations compliquées et on s’aperçoit que même si l’État veut sécuriser les élus, finalement, il ne s’en donne pas tout à fait les moyens. Nous restons un peu seuls malgré tout. En six mois de temps, j’ai eu trois élus qui m’ont parlé de cela et même si j’ai eu une réunion avec le procureur de la République à ce sujet, c’est compliqué. Les élus doivent porter plainte, il y a une adresse mail dédiée pour eux mais ensuite, la personne incriminée est convoquée mais pas forcément sanctionnée. J’ai le cas de deux maires menacés de mort par le même individu, il a été interpellé et condamné, il est sous bracelet électronique mais il continue à agir, à se moquer des élus. Ce sont quand même des menaces de mort envers les élus et leurs familles... Ces choses-là, on ne les voyait pas il y a 10 ou 15 ans. J’ai un maire qui compte ne pas se représenter à cause de ces soucis.
À quelques mois des élections municipales de 2026, est-ce qu’il faut craindre que de nombreux maires ne se représentent pas ?
Une enquête de l’AMF a établi que seulement 42% des maires souhaitaient se représenter et l’analyse des causes est assez étonnante. Les premières causes sont les tensions au sein du conseil municipal, les successions programmées, et la fatigue physique et psychique. Dans l’Aisne, on ne ressent pas forcément les tensions au sein des conseils mais la fatigue, oui ça revient beaucoup. On va toujours vers la simplification mais on s’aperçoit qu’on nous en demande toujours de plus en plus. Et le mandat a été très difficile avec le Covid et l’après-Covid au démarrage. Le contexte national avec les départements qui sont en difficulté n’aide pas, parce que ce sont des partenaires des communes.
Est-ce que l’État reste au soutien des projets des communes ?
Je trouve qu’on est, malgré tout, un département relativement bien aidé par l’État. Les enveloppes comme la DETR sont plutôt bien dotées, cette DETR reste identique en 2025 à celle de 2024 et il y aussi des enveloppes fournies pour des dispositifs comme le fonds vert. On a l’impression que l’État met les moyens pour les communes dans les départements un peu plus en difficulté comme le nôtre. Heureusement, parce que les communes ne lèvent plus l’impôt depuis la fin de la taxe d’habitation donc elles n’ont plus beaucoup de marges de manœuvre. Il faudrait revoir la fiscalité pour que chaque niveau de collectivité puisse avoir ses leviers.
Le salon des maires de l’Aisne fait peau neuve à Center Parcs et devient un congrès...
Oui, il devient un congrès et on y tient, nous avons voulu également changer la date, nous voulions être le premier événement marquant de la rentrée. En octobre, qui était la date habituelle ces dernières années, il y avait un télescopage avec le congrès des intercommunalités. Il nous fallait également un nouveau lieu, car à Chauny, de nombreuses critiques revenaient, notamment sur la restauration organisée dans la même salle que les exposants, c’était organisé sur plusieurs niveaux, les exposants étaient dans une petite pièce voire dans les couloirs et le stationnement était difficile. J’ai pu voir l’organisation des salons du Nord et du Pas-de-Calais, cela nous a incité à choisir un nouveau lieu à Center Parcs, qui est un véritable centre des congrès, assez central géographiquement dans le département. Cela va nous permettre d’organiser deux véritables tables rondes, une sur la santé et la désertification médicale et un atelier pour les DGS et secrétaires de mairie sur les données, le RGPD et la cybersécurité dans les communes.
Cette thématique de la désertification médicale reste prégnante dans l’Aisne ?
Oui, d’ailleurs l’ensemble du département est en ZRR (Zone de revitalisation rurale). Nous sommes très bien dotés en maisons de santé, l’envie est là mais il faut trouver les médecins. Le problème, ce sont les départs à la retraite qui ne sont pas remplacés, et ce dans les petites villes comme dans les plus grandes. Le département mène une action pour favoriser la venue de médecins et donne des aides financières pour les médecins tuteurs afin qu’ils puissent accueillir des stagiaires dans nos territoires, en partenariat avec la faculté de médecine de Reims. Les EPCI et les communes peuvent aussi parfois rémunérer en partie les médecins pour les attirer. Cet aspect financier incitatif est important.