L’avion moins cher que le train ? Explications
Sauf pour les liaisons nationales, le fer demeure plus coûteux, pour le voyageur, que l’aérien. L’ONG Réseau action climat décrypte cet écart et préconise d’égaliser les prix, en taxant l’industrie aérienne, qui bénéficie jusqu’à présent de plusieurs niches fiscales.

L’avion est-il vraiment moins cher que le train ? C’est le constat empirique que font de nombreux vacanciers au moment de choisir leur moyen de se rendre à destination. Le Réseau action climat (RAC), qui rassemble 27 organisations non gouvernementales (ONG) engagées pour la transition écologique, a cherché à vérifier la réalité de cette perception.
Dans le premier volet de cette étude intitulée « Le monde à l’envers », publiée le 3 juillet, l’association de consommateurs UFC-Que choisir a comparé méthodiquement les prix des voyages, par le fer ou par l’air. La tâche n’a pas été facile, car les compagnies ferroviaires, tout comme l’industrie aérienne, pratiquent la « tarification dynamique », dit aussi « yield management », qui fait varier les prix en fonction de la demande.
UFC-Que choisir a tout de même constaté que, pour la France, lorsqu’il existe une liaison directe en train, celui-ci demeure moins cher que l’avion. En moyenne, les billets sont vendus 64 euros, contre 106 euros en avion. En revanche, lorsque le trajet implique une correspondance, le ciel (102 euros) devient plus compétitif que la voie ferrée (113 euros).
Pour l’Europe, cette tendance se renforce, comme le révèlent les constats faits par le mouvement écologiste Greenpeace. Un Paris-Barcelone est vendu entre 85 et 189 euros par une société ferroviaire (123 euros, en moyenne), et entre 18 et 78 euros par une compagnie aérienne (45 euros, en moyenne). Le fer, pour ce trajet, coûte donc 2,3 fois plus cher que l’aérien. Chaque année se vendent 2,6 millions de billets d’avion Paris-Barcelone, un trajet qui, selon l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, émet 70 fois plus de gaz à effet de serre qu’en TGV. L’impact environnemental de la différence de prix est donc immense.
L’écart de tarif est encore plus net pour un Londres-Nice (1,5 million de billets d’avion vendus, le train étant trois fois plus cher) ou un Paris-Milan (2,4 millions de billets d’avion, le train 3,2 fois plus cher). Pour un Paris-Berlin ou un Lyon-Madrid, le handicap du ferroviaire est moins frappant : respectivement 1,6 fois, et 1,7 fois plus cher que l’avion.
L’impact des péages ferroviaires
Pour Greenpeace, ce décalage, qui « va à l’encontre des objectifs climatiques de la France », s’explique par « le prix extrêmement bas de certains billets d’avion », ainsi que par « la rareté des billets de train bon marché pour les liaisons internationales ». Le RAC a demandé au bureau d’étude Carbone 4, spécialisé dans l’anticipation du changement climatique, d’analyser les raisons de l’avantage compétitif dont bénéficie l’aérien.
Contrairement au vol d’un aéronef qui a surtout besoin d’aéroports, la circulation d’un train nécessite une infrastructure complexe, les rails, mais aussi les aiguillages, la signalisation ou des ouvrages d’art. Au cours d’un trajet de Paris à Barcelone, un convoi emprunte mille kilomètres de voies et le tunnel du Perthus, 8 kilomètres creusés sous les Pyrénées. Ces infrastructures, ainsi que leur maintenance et leur modernisation, justifient les redevances de circulation, ou péages ferroviaires, que versent les compagnies ferroviaires aux gestionnaires de réseaux. En France, il s’agit de SNCF Réseau, l’une des cinq branches de la SNCF. Pour un Paris-Barcelone, les redevances comptent pour la moitié du prix du billet.
A l’inverse, l’industrie aérienne bénéficie d’exonérations fiscales que le RAC juge « anachroniques ». « Alors que le transport ferroviaire s’acquitte d’une taxe sur l’électricité et d’une TVA sur certaines liaisons européennes, l’aérien ne paye ni taxe sur le kérosène, ni TVA internationale », souligne Carbone 4. Les compagnies à bas coût peuvent ainsi défier toute concurrence, d’autant qu’elles « parviennent à réduire fortement les coûts de personnel, au prix de conditions de travail dégradées ».
Les consultants ont calculé qu’une TVA à 20% et une taxe sur le kérosène basée sur le même taux que le diesel routier (0,6 euro par litre), majorerait, pour un Paris-Barcelone, le coût de chaque billet d’avion d’environ 35 euros. Le rapport du RAC souligne que ces « niches fiscales », notamment la non-taxation du kérosène, résultent de traités internationaux auxquels un pays ne peut déroger unilatéralement. En revanche, une hausse de la taxe sur les billets d’avion, créé en 2005 à l’initiative du président Jacques Chirac, pourrait « égaliser les coûts d’un billet d’avion low cost et d’un billet de train autour de 100 euros par passager », souligne l’organisation.
Le RAC avance que d’autres distorsions expliquent la pénalisation du rail par rapport au ciel. Seules deux rames, soit un millier de sièges, circulent chaque jour entre Paris et Barcelone, ce qui accroît la demande et tire encore les prix vers le haut. L’offre aérienne est en revanche « pléthorique », et « les compagnies aériennes n’hésitent pas à proposer des tarifs de billets inférieurs à leurs coûts d’opération », indique l’étude.
Outre la hausse de la taxe sur les billets d’avion, qui pourrait rapporter 3 milliards d’euros si la classe business était taxée entre 90 et 600 euros en fonction de la destination et la classe économique entre 0 (pour les liaisons nationales) et 100 euros, le RAC suggère d’« offrir un billet très réduit, une fois par an », à chaque habitant. Ce « billet de congé annuel », créé par le Front populaire en 1936, existe déjà, mais il est peu avantageux et « particulièrement difficile à obtenir ». Le RAC préconise de le plafonner à 29 euros. L’ONG propose aussi de relancer les trains de nuit, en doublant la commande de matériel effectuée par l’Etat, et de baisser le prix des péages ferroviaires pour les liaisons internationales et transversales.