Dossier

L’enjeu du «faire savoir»

Encore loin de la parité, les chiffres de l’entrepreneuriat féminin montrent le chemin qui reste à parcourir pour que les femmes osent créer ou reprendre une activité. Pour tenter d’inverser la tendance, une kyrielle d’opérations de communication se développent depuis plusieurs années partout en France avec la volonté de faire voler en éclats les clichés et de mettre en avant des exemples de réussite. Et si le «faire savoir» pouvait tout simplement inverser la tendance ?

© Initiative Metz - Rencontre de femmes dirigeantes dans le cadre de l'opération Vis ma vie d'entrepreneuse orchestrée par Initiative Metz
© Initiative Metz - Rencontre de femmes dirigeantes dans le cadre de l'opération Vis ma vie d'entrepreneuse orchestrée par Initiative Metz

Une stabilité globale pointée du doigt par le baromètre 2024 d’Infogreffe et de l’association FCE France qui révèlent que la proportion de femmes entrepreneuses en France représente toujours 33,1 % des créations d’entreprises. Selon la seconde édition du baromètre de la DGE et de Bpifrance, 26 % des créations d’entreprises portées par des femmes ont démarré modestement et le reste trois ans après. Des chiffres qui progressent lentement et marquent toujours une frilosité des femmes à passer le cap de l’entrepreneuriat et à voir grand. Et pourtant, la communication autour des dispositifs d’aide et d’accompagnement dédiés aux femmes ne cessent de progresser et de se démultiplier à chaque échelon que ce soient national, régional, départemental et même local. Des aides financières attribuées ou encore des événements organisés ; tout est mis en place pour booster les chiffres de l’entrepreneuriat féminin qui restent encore en deçà en France. Le mois de mars marque d’ailleurs l’apogée de cette communication genrée avec les semaines de sensibilisation des jeunes qui ont eu lieu, du 11 au 29 mars cette année, en lien avec le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes mais également la lutte contre les discriminations ou encore l’association 100 000 entrepreneurs. Et pour cause, le pourcentage des filles présentes dans les filières techniques ou scientifiques dénote d'une insuffisance du vivier d’étudiantes, notamment en écoles d’ingénieurs. Dans de nombreux établissements scolaires, des femmes dirigeantes, des cadres, des ingénieures, des femmes militaires prêchent donc la bonne parole pour ouvrir le champ des possibles aux collégiennes et lycéennes.

Du 8 mars au reste de l’année

La journée de la femme digitale, les incubateurs dédiés, les réseaux d’accompagnement : tous communiquent sur les réseaux sociaux ou organisent des manifestations, comme l’atteste la série de vidéos pour inspirer et informer les femmes dans leur projet de création porté par la Banque de France en collaboration avec la Direction générale des entreprises (DGE) ou encore le concours 1 001 femmes entrepreneures piloté par BPI France. L’objectif est de susciter des vocations en mettant en avant des parcours et des exemples de femmes inspirantes ; pas des «Wonder Woman», mais juste des femmes qui dirigent. Lors de la journée internationale des droits des femmes, la communication est à son comble. La valorisation de l’entrepreneuriat féminin ne se limite (heureusement) pas à cette seule date. «Toutes les campagnes de communication ne doivent pas se concentrer uniquement sur cette période, mais c’est bien tout au long de l’année que nos actions doivent porter», analyse Delphine Boulay, la directrice d’Initiative Metz. Chaque année, en décembre, l’association de soutien des créateurs et repreneurs en organise la soirée de clôture de son opération «Vis ma vie d’entrepreneuse». Et à chaque édition, cette action «fait le plein avec des femmes dirigeantes engagées à transmettre et à communiquer. Elles acceptent tout, les photos et les vidéos même si elles ne sont pas fans, mais elles sortent de leur zone de confort pour apporter leur pierre à l’édifice. Jamais nous n’avons essuyé le moindre refus», ajoute la responsable du réseau messin, émue de constater l’entraide et l’implication des cheffes d’entreprise.

De la récurrence utile

Si certains s’interrogent sur l’impact de toutes ces initiatives, Delphine Boulay met en avant des chiffres qui décollent sur son territoire urbain avec 38 % de femmes qui créent ou reprennent et pas uniquement dans les secteurs d’activité attendus comme le commerce. «On sent un vrai mouvement, un changement de mentalités, les femmes osent reprendre. Elles se lancent dans l’aventure et se sentent davantage légitimes ce qui prouve que notre présence sur les réseaux sociaux mais aussi lors d’événements portent leurs fruits», estime l’experte. Le vent d’optimisme et de dynamisme souffle moins fort sur le département voisin rural meusien. Isabelle Allheily Tatot, conseillère création-reprise-formalité à la CCI Meuse Haute-Marne est consciente des étapes qu’il reste à franchir. «Rien que cet après midi, j’ai dû rassurer des femmes en leur rappelant qu’elles pouvaient entreprendre.» Et si elle mise sur les campagnes de communication et les événements comme l’année dernière avec les trophées des femmes cheffes d’entreprise qui avaient été remis à Bar-le-Duc, elle est consciente qu’il faille «créer des récurrences sous toutes ces formes avec des rencontres, des sensibilisations, aller sur l’axe digital, rien ne doit être négligé même si nous restons humbles quant à l’impact de toutes ces initiatives qui reste difficilement quantifiable.» Une seule certitude partagée par beaucoup : «sans toutes ces opérations de communication, les chiffres de l’entrepreneuriat féminin seraient bien pires.» C’est tout l’enjeu du «faire savoir» à l’heure où la communication ne s’arrête jamais pour la nouvelle génération ultra-connectée.

Des femmes connectées

Lors des comités d’agrément des différentes associations du réseau Initiative France disséminées sur l’ensemble du territoire, le constat est souvent le même : quand un couple présente un projet de création ou de reprise d’entreprise devant les experts, la femme se charge toujours de l’axe communication. «Elles sont d’ailleurs les plus présentes pour réagir, communiquer, partager, liker», selon les observateurs sur le terrain. Est-ce à dire que les femmes sont à l’assaut des métiers du marketing et de la communication ? Ce n’est pas encore une réalité dans les chiffres avec seulement 23 % de femmes qui travaillent dans le digital, selon le collectif Femmes Numérique. C’est donc au collège ou au lycée que doivent se poser les questions d’orientation pour attirer davantage de candidates vers des formations adaptées pour alimenter cette filière dynamique et loin d’être saturée.