Economie
La consommation ne tire plus la croissance
La note de conjoncture de l’Insee de juin s’attarde longuement sur le taux d’épargne élevé. Si le fait de conserver ses économies est une vertu individuelle, elle est considérée comme un fardeau collectif. Les consommateurs ne viennent plus au secours de l’activité économique, qui patine.

Mais que font les ménages de l’argent qu’ils gagnent ? Ils l’épargnent. Le taux d’épargne a atteint, au premier trimestre 2025, le niveau, inédit depuis 45 ans, de 18,8% (hors crise sanitaire). Et cela commence à inquiéter les conjoncturistes de l’Insee, qui ont fait de cette donnée le titre de leur note de conjoncture trimestrielle, publiée le 18 juin : « L’épargne des ménages au sommet ». Selon une enquête menée en mars par les statisticiens, la proportion des ménages qui disent « mettre de l’argent de côté » a progressé de six points depuis la fin des années 2010, passant de 37% à 43%. Ce sont surtout les 25% les plus aisés (« le premier quartile ») et les plus de 64 ans qui épargnent davantage qu’auparavant. Par comparaison, la proportion des ménages qui « tirent sur leurs réserves ou s’endettent » demeure stable, au fil des années, dans toutes les catégories de la population.
Et pourquoi thésauriser ainsi ? Le motif n’en est que marginalement l’achat futur d’un bien immobilier (9%) ou d’autres biens importants (10%). 53% des épargnants souhaitent s’assurer « des réserves en cas de coup dur », tandis qu’un peu moins de 15% aimeraient « constituer un capital pour la retraite », et environ 15% « transmettre à des proches » qui en auraient besoin. Si les ménages les moins aisés privilégient davantage que la moyenne les « réserves en cas de coup dur », les plus aisés évoquent plutôt la retraite ou l’assistance aux proches. Les seuls ménages qui avancent un projet immobilier ou d’achat sont les plus jeunes : respectivement 25% et 18% des moins de 35 ans.
L’Insee relève par ailleurs que 70% des ménages cherchent à « limiter leur consommation ». Les raisons de ce cette prudence sont pragmatiques : « boucler le budget », « mettre de l’argent de côté » ou encore « limiter leur impact environnemental ». Le souhait de moins consommer est largement majoritaire, y compris chez les plus aisés (environ 65%). Ce premier quartile concentre davantage de ménages soucieux de leur empreinte environnementale, au point de limiter leurs achats pour cette raison. Le critère de l’âge est encore plus déterminant. A peine plus de 10% des moins de 35 ans ne cherchent pas à limiter leurs achats, et c’est également chez eux que la conscience écologique est la plus forte. A l’inverse, plus de 40% des plus de 65 ans, les « boomers » nés lors du baby-boom de l’après-guerre, n’ont aucune intention de se mettre des barrières.
Croissance en baisse, chômage en hausse
Ces choix de consommation pourraient être interprétés avec un regard sociologique : la société française serait-elle repue, au point de rejeter l’hyperconsommation qui a été la marque des générations nées après-guerre ? Les conjoncturistes préfèrent adopter un regard économique. La consommation est l’un des « moteurs » de la croissance, rappelle l’Insee. Souvent, au cours des années passées, les consommateurs sont venus à la rescousse d’une économie défaillante. Mais pas cette fois-ci. « Bien que leur pouvoir d’achat ait été mieux préservé qu’ailleurs, les ménages français dépensent au compte-gouttes », peut-on lire dans la note de conjoncture. En 2024, le pouvoir d’achat des ménages a bénéficié de revalorisations indexées sur l’inflation passée, mais cela est resté sans effet sur leur consommation. Car si l’inflation a retrouvé son lit, ce n’est pas le cas de « l’inflation perçue », indique l’Insee.
Les autres « moteurs » de la croissance ne sont pas beaucoup plus vaillants. « Les dépenses publiques ralentissent », « l’investissement repart moins franchement qu’ailleurs en Europe », et « les exportations déçoivent », signalent les conjoncturistes. Début 2025, la plupart des pays d’Europe ont bénéficié d’un rebond inattendu du commerce mondial, +1,7%, tiré par la forte hausse des importations américaines, juste avant que Donald Trump n’annonce ses hausses de droits de douane. Mais pas la France, dont les exportations, « dépendantes des à-coups des secteurs aéronautiques et navals, ont plongé (-1,8 %) ».
Conséquence de cette panne généralisée, l’Insee prévoit pour la France une croissance de 0,2% par trimestre d’ici la fin de l’année, et de 0,6% pour l’année 2025, en baisse par rapport au déjà timide 1,1% de 2024, et en retrait par rapport aux voisins européens. Le gouvernement, lui, s’en tient à une prévision de 0,7%. L’emploi pâtit de cette conjoncture morose. Depuis le début de l’année, « l’économie française a détruit plus de 120 000 postes salariés », attaque l’Insee. « L’optimisme » des employeurs, « qui prévalait depuis la crise sanitaire, a fini par disparaître ». En outre, observe la note, « les subventions liées aux politiques de l’emploi se compriment, qu’il s’agisse des aides à l’apprentissage ou des enveloppes d’emplois aidés ». En conséquence, « l’emploi salarié baisserait de 90 000 postes supplémentaires d’ici la fin de l’année, dont les deux-tiers d’alternants ». Et comme la population active croît toujours, effet de la montée en charge de la réforme des retraites, le taux de chômage continuerait de croître, atteignant 7,7% de la population active fin 2025.
Parmi les aléas dont l’Insee assortit traditionnellement sa note de conjoncture, les conjoncturistes relèvent les mesures qui devront bien être prises pour réduire le déficit public, dont les modalités demeurent « inconnues, projetant les acteurs privés dans un potentiel inconfort ». Cet inconfort va-t-il nourrir le taux d’épargne ? Ce n’est pas sûr. L’Insee estime au contraire que celui-ci devrait « baisser fortement » au second semestre, pour descendre à 17,3% en fin d’année, « du fait du calendrier de l’impôt sur le revenu, prévu en nette hausse ». Pour le dire crûment : vous ne consommez pas ? On vous taxe.