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Territoires

Les villes mal armées contre les feux de forêt

Depuis les feux de Marseille ou Narbonne, début juillet, la probabilité d’une catastrophe provoquée par un feu de forêt en milieu urbain n’est plus une hypothèse lointaine. La prévention du risque demeure centrée sur les obligations légales de débroussaillement, imposées aux particuliers.


© Olivier RAZEMON pour DSI.
© Olivier RAZEMON pour DSI.

En blanc sur fond rouge vif, les lettres DFCI s’affichent sur des panneaux plantés à l’entrée de chaque chemin des Alpilles. Aucun promeneur ne peut ignorer le quadrillage de ce petit massif montagneux et forestier situé entre Arles (Bouches-du-Rhône), Avignon et Marseille, par la Défense de la forêt contre les incendies, chargée de prévenir les feux. Le risque d’incendie est ici une préoccupation constante, toute l’année. Les oliviers peints par Van Gogh, sont fragiles, mais les autorités locales craignent aussi pour les habitations, dispersées autour des bourgs. Saint-Rémy-de-Provence approche les 10 000 habitants, et chaque localité du massif en compte plusieurs milliers.

Dans ce département, à Marseille, le feu a détruit 750 hectares de forêt les 8 et 9 juillet, touchant 90 maisons dont une dizaine totalement incendiées, tandis que 400 personnes étaient évacuées. Le brasier avait été provoqué par une voiture en flammes, garée sur le bas-côté d’une autoroute. Toujours début juillet, c’est Narbonne (Aude) qui était touchée par plusieurs feux. Les dégâts des feux, dans les espaces urbanisés, vont bien au-delà des chiffres. La toxicité des fumées oblige les habitants à se confiner, les cendres recouvrent tout, des routes et des voies ferrées sont barrées, des lignes à haute tension coupées pour faciliter l’accès des pompiers ; et l’eau des lances à incendie cause des dommages irréversibles.

Le 2 juillet, une semaine avant l’incendie de Marseille, la Fabrique de la cité, un think-tank financé par le groupe Vinci, avait justement publié une « note » consacrée aux « villes face aux feux de forêt ». L’étude, qui « résulte d’échanges menés avec une quinzaine d’experts », isole trois raisons pour lesquelles les risques se sont intensifiés, en France, ces dernières décennies, avance Louise Fel, chargée d’études, qui l’a rédigée. Tout d’abord, « l’exode rural », phénomène lent et déjà ancien, a amené les humains à « perdre la connaissance des milieux et des méthodes ancestrales qui permettaient de maîtriser le feu », notamment les «brûlages dirigés». Plus récemment, « l’urbanisation massive » et notamment ce que l’on a appelé à l’inverse «l’exode urbain», ou la volonté de certains citadins de se rapprocher de la nature, a placé les attributs de la ville au contact direct avec la forêt. Enfin, «le réchauffement climatique intensifie les conditions favorables aux incendies, à travers la sécheresse, le vent, les fortes chaleurs», détaille Louise Fel.

La Fabrique de la cité a organisé sur le même thème un débat en ligne. La sénatrice de centre-droit Anne-Catherine Loisier (Côte d’Or), présidente du groupe d’études Forêt et filière bois au Sénat, est l’une des coautrices d’un rapport publié en août 2022 sur la prévention des incendies. Ce document avait été publié en pleine canicule, juste après les méga-feux, définis comme dépassant le millier d’hectares, qui avaient touché la Gironde cet été-là (20 000 hectares), mais le travail des sénateurs avait commencé dès le printemps 2022. Est-ce pour cette raison que la sénatrice se refuse à «parler de méga-feux», mais plutôt d’« incendies de grande intensité» ? Ses préconisations semblent en tous cas relever du bon sens : «mettre tous les professionnels autour de la table», «intégrer les incendies dans la pratique locale», «enlever un maximum de combustibles», «assurer les voies d’accès et de retournement pour les pompiers», « identifier les points d’eau », etc.

« Crispations » entre promoteurs, élus et propriétaires

A écouter la sénatrice, les principaux responsables seraient surtout les particuliers inconscients, ceux, bien sûr, qui «jettent les mégots par les fenêtres» ou allument «des barbecues près des pâtures», mais aussi les habitants qui se soustraient aux «obligations légales de débroussaillement» (OLD), résultant d’une loi de 1985. Cet impératif concerne en 2025 une partie des communes de 43 départements, situés principalement dans le sud et l’ouest du pays. Mais, selon l’élue, «le taux de réalisation» du débroussaillement ne dépasse pas «30% ». L’opération «se heurte au droit de propriété», puisque le propriétaire doit débroussailler dans un rayon de 50 mètres autour de son habitation, y compris, le cas échéant, sur le terrain de ses voisins.

Si la « culture du risque » a tendance à progresser, notamment depuis 2022, Arthur Guérin-Turcq, géographe de l’environnement, constate, dans les Landes, territoire qu’il a étudié, que «la demande des élus porte surtout sur l’augmentation du nombre de canadairs». Le spécialiste révèle par ailleurs que des rivalités d’ordre économique entravent parfois la prévention. «Lorsqu’un lotissement est situé en bordure de forêt, l’aménagement des lisières est indispensable. Or, la définition du nombre de mètres à dégager entre la forêt et le lotissement fait l’objet de beaucoup de crispations entre les propriétaires forestiers, les promoteurs immobiliers et les élus locaux».

Un autre enjeu porte sur «la sensibilisation des touristes» qui, selon Anne-Catherine Loisier, «n’ont pas spécialement le risque à l’esprit». Dans les Alpilles, Laetitia Baudry, chargée de communication du Parc naturel régional, constate exactement l’inverse : «lorsque le massif est fermé au public, les touristes respectent l’interdiction. A l’inverse, les locaux ne comprennent pas toujours. Ils y ont leurs habitudes, et considèrent que le massif leur appartient un peu».