À Francfort, le dilemme du crack en plein centre-ville
À deux pas des gratte-ciel bancaires à Francfort, la ville prévoit une salle supplémentaire pour fumeurs de crack dans le quartier de la gare, rongé par la précarité et la...

À deux pas des gratte-ciel bancaires à Francfort, la ville prévoit une salle supplémentaire pour fumeurs de crack dans le quartier de la gare, rongé par la précarité et la drogue, une mesure sanitaire qui fait polémique.
Touristes, hommes d'affaires et résidents qui se croisent aux abords du nœud ferroviaire de la métropole financière allemande sont directement confrontés à des scènes de prise de drogue: héroïne, méthadone, crack, tout se consomme à ciel ouvert, dans des rues bordées de sex-shops et de salles de jeux, où errent des consommateurs en détresse.
Plutôt que de marcher quelques centaines de mètres jusqu'à un rendez-vous d'affaires, les visiteurs sont souvent invités à prendre un taxi en gare.
Surnommée Mainhattan - clin d'oeil aux façades vitrées de la skyline financière proche du fleuve Main traversant la ville - Francfort se voit décerner d'autres sobriquets peu enviables tels que "Krankfurt" (vocable créé avec le mot "Krank", malade) ou "Zombieland", décerné par la presse britannique pendant l'Euro de foot en 2024.
La cité du centre de l'Allemagne a pourtant été considérée comme une pionnière en matière de gestion des risques depuis l'ouverture de la première salle de consommation de drogue en 1996.
Aujourd'hui, trois salles offrent aux usagers la possibilité de consommer, en plus de lits, conseils médicaux et accompagnement social.
L'objectif, selon Christian Rupp, porte-parole de la ville pour les affaires sociales, est de "sauver des vies", pas de "criminaliser".
En 2023, Francfort a enregistré vingt décès liés aux overdoses, contre un pic de 147 en 1991. Mais aucun décès n'est jamais survenu à l'intérieur des salles de consommation, souligne-t-il.
- Economie de la drogue -
Toutefois, ouvrir au cœur du "Bahnhofsviertel" (quartier de la gare) un nouveau centre de consommation supervisée, pour une capacité de 50 fumeurs de crack, en exaspère plus d'un.
"Je dois enjamber des excréments, de l'urine et du vomi pour entrer dans mon bureau", s'indigne Frank Lottermann, entrepreneur local, qui milite pour éviter de placer la nouvelle salle dans ce qu'il décrit comme un "quartier à la dérive".
Pour certains élus et habitants, ces structures ont un effet contre-productif : elles attireraient des usagers et des dealers venus d'ailleurs.
De quoi transformer Francfort en "aimant pour le tourisme de la drogue", déplore l'élu conservateur Boris Rhein, chef du gouvernement régional de Hesse.
L'homme politique dénonce une "économie fermée de la drogue", où achat, consommation et soins cohabitent à quelques mètres les uns des autres, et réclame des mesures d'ordre public au lieu d'approches sociales ou sanitaires.
Dialogue avec les riverains
M. Lotterman suggère, lui, de s'inspirer de la Suisse, où des centres pour toxicomanes fonctionnent dans des zones périphériques, parfois avec une tolérance implicite pour les petits dealers à l'intérieur.
Les autorités sanitaires défendent néanmoins le choix de l'emplacement en centre-ville.
"Beaucoup de consommateurs de crack sont physiquement très affaiblis. Ils ne peuvent pas marcher plus de cinq ou dix minutes après avoir obtenu leur dose", explique M. Rupp.
Stirpan Bileškovic, 39 ans, ancien élagueur d'arbres devenu sans-abri, le confirme : "Quand tu as le crack en main, tu veux le fumer tout de suite. Tu ne vas pas traverser la ville".
Wolfgang Barth, travailleur social qui a ouvert un centre d'aide aux drogués en 1989, souligne de son côté l'importance de "parler avec les riverains".
Ce vétéran de l'accompagnement des toxicomanes plaide aussi pour que le nouveau centre de consommation soit implanté dans le "Bahnhofsviertel", où les besoins sont les plus urgents.
Nettoyant sa pipe à crack, Stirpan Bileškovic dit ne pas savoir comment régler le problème des riverains vivant en promiscuité avec des drogués, à part de "chasser" ces derniers du quartier.
Mais ici, "les gens feraient n'importe quoi pour un peu de crack qui coûte à peine deux euros".
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