Au Val Fourré, les irréductibles propriétaires de la tour Jupiter bientôt expropriés
Katia* a acheté sa "vue extraordinaire sur la vallée de la Seine" en 1977. Presque cinquante ans après, la justice a rejeté le recours en référé de plusieurs propriétaires de sa tour, au cœur d'un...

Katia* a acheté sa "vue extraordinaire sur la vallée de la Seine" en 1977. Presque cinquante ans après, la justice a rejeté le recours en référé de plusieurs propriétaires de sa tour, au cœur d'un quartier populaire de Mantes-la-Jolie (Yvelines), contre sa démolition.
"Je me suis endettée pour rien, pour aujourd'hui être à la rue, mise à la rue, je trouve ça déplorable", s'emporte Katia, qui vit dans un deux-pièces "pas du tout dégradé".
"Les tours, ça n'est pas l'avenir. Ça, je comprends très bien. Mais les pauvres gens qui ont acheté ici (...) n'ont pas à payer l'incurie des architectes de l'époque" et "l'inaction des pouvoirs publics", se désole Jean Bégué, 74 ans, président du syndic.
Criblée de dettes et dégradée par les marchands de sommeil, la tour Jupiter, symbole des grands ensembles construits dans les années 1960, doit disparaître pour "redonner une attractivité résidentielle" au Val Fourré, selon l'étude d'impact réalisée pour le projet de renouvellement urbain de ce quartier.
Mais sept copropriétaires avaient demandé en urgence en mai la suspension des arrêtés préfectoraux déclarant le projet d'utilité publique et ouvrant la voie à leur expropriation.
Ils estimaient que l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif), pilote du projet, n'avait pas suffisamment évalué les solutions alternatives à la démolition et les nuisances environnementales.
"Aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions en litige", a balayé le juge des référés début juillet.
Exit le gigantisme de l'urbanisme sur dalles. Comme ses voisines Mercure et Pluton, Jupiter devrait donc être remplacée par des petits immeubles et des maisons de ville pour "désenclaver" et créer un "environnement apaisé, plus vert", promet l'Epfif.
Plus largement, 421 millions d'euros ont été prévus pour "ouvrir sur la ville" le Val Fourré d'ici 2030.
Gentrification
Selon certains propriétaires, les sommes qui leur ont été proposées pour racheter leurs appartements sont bien loin des prix du marché aujourd'hui.
Mohammad*, 62 ans et trois appartements loués pour "agrandir (sa) retraite", s'inquiète: "Quand on va perdre la tour, ça va être difficile".
Avec les 67.000 euros qu'on propose à Katia, "on n'achète même pas un studio dans Mantes, alors je ne vais pas accepter", s'indigne-t-elle.
L'ensemble du projet est une "opération de gentrification", dénoncent les avocats des copropriétaires, Mes Marc Pitti-Ferrandi et Marion Giard, qui pointent l'arrivée du RER E à Mantes-la-Jolie, prévue d'ici 2027. Quarante minutes suffiront alors pour rejoindre La Défense depuis la ville des Yvelines.
Face aux propriétaires qui se sentent "en insécurité ou incompris", la mairie de Mantes-la-Jolie, qui finance la rénovation du quartier à hauteur de 70 millions d'euros, assure à l'AFP avoir mis en place "un accompagnement humain et personnalisé".
"Le projet vise à recréer un cadre de vie plus digne, plus sain et plus fonctionnel, pour l'ensemble des habitants", souligne la ville.
Quant aux prix contestés, ils sont fixés par la direction de l'immobilier de l'État (ex-France Domaine), "un organisme public neutre, garant d'une évaluation juste et indépendante".
La préfecture évoque, elle, une "juste indemnisation des copropriétaires expropriés".
Autre sujet d'inquiétude, le bilan environnemental du projet, notamment les déchets et les émissions de gaz à effet de serre.
Des mesures d'évitement liées aux émissions carbone produites par le chantier sont prévues, assure l'Epfif qui anticipe qu'"en pratique, 90% (des 150.000 tonnes de déchets évalués) seront valorisés".
Au lieu de démolir puis reconstruire, mieux vaudrait "réhabiliter" comme l'a été Neptune, voisine et quasi-jumelle, souhaitent les copropriétaires.
Celle-ci, blanche et pimpante, éclipse Jupiter et sa façade fatiguée.
Or selon la préfecture, "les coûts disproportionnés d'une réhabilitation justifient (la) démolition" de Jupiter. Sur ses 105 appartements, seuls 11 sont occupés par leurs propriétaires. Grevée par les impayés, la tour est devenue un lieu d'habitat indigne pour nombre de ses locataires, parfois victimes de marchands de sommeil.
Ces derniers révoltent les quatre copropriétaires interrogés par l'AFP. "Mais on ne nous a pas aidés côté pouvoirs publics" à les expulser, regrette M. Bégué.
Aucun bailleur social n'a souhaité acquérir la tour pour la rénover.
D'ici à la démolition, qui pourrait intervenir en 2028 selon l'Epfif, les copropriétaires qui ont introduit une requête au fond auprès du tribunal administratif peuvent encore espérer l'annulation du projet.
En attendant, l'horloge tourne. Une première audience devant le juge de l'expropriation doit se tenir dès la rentrée.
(*Les personnes citées ont préféré rester anonymes).
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