"Brisée" mais déterminée, Saâda Arbane veut se faire entendre face à Kamel Daoud

Depuis qu'elle a eu la gorge tranchée pendant la guerre civile algérienne, Saâda Arbane a perdu la voix. Mais la jeune femme qui accuse l'écrivain Kamel Daoud d'avoir pillé son histoire compte...

Saâda Arbane (d) pendant une conférence de presse aux côtés de son avocate algérienne, le 21 novembre 2024 à Alger © -
Saâda Arbane (d) pendant une conférence de presse aux côtés de son avocate algérienne, le 21 novembre 2024 à Alger © -

Depuis qu'elle a eu la gorge tranchée pendant la guerre civile algérienne, Saâda Arbane a perdu la voix. Mais la jeune femme qui accuse l'écrivain Kamel Daoud d'avoir pillé son histoire compte bien "parler, témoigner" et se faire entendre.

Victime, "je l'ai été enfant malheureusement. Mais maintenant je suis une adulte, une femme, une mère qui sait dire stop même si je n'ai plus de voix", dit l'Algérienne de 31 ans.

En novembre 2024, Saâda Arbane avait provoqué une déflagration dans le monde littéraire et au-delà, en apparaissant sur une chaîne algérienne pour affirmer que le roman "Houris" de Kamel Daoud, récompensé par le prestigieux prix Goncourt la même année, était calqué sur sa vie.

Elle a lancé des procédures en justice contre M. Daoud en France et en Algérie, et demande 200.000 euros de dommages et intérêts à Paris pour non-respect de la vie privée ainsi qu'une publicité de la condamnation éventuelle.

L'AFP a échangé avec Saâda Arbane par visioconférence avant qu'elle ne réponde par écrit à ses questions. La jeune femme, qui parle et respire à l'aide d'une canule, est difficilement audible.

Trahie

Elle affirme avoir connu personnellement le Franco-Algérien et qu'il a eu accès aux détails de son histoire par son épouse psychiatre, Aïcha Dahdouh, qui a suivi Saâda Arbane pendant plusieurs années. Les deux femmes ont fini par développer une relation amicale.

"Le roman +Houris+ puise directement dans mon vécu le plus intime que j'ai partagé dans un cadre médical", dit à l'AFP Mme Arbane, grièvement blessée au larynx lors de l'attentat en 2000, qui a coûté la vie à plusieurs membres de sa famille, notamment ses parents.

"Je me suis sentie trahie, humiliée", ajoute-t-elle: "Clairement, ce que j'ai lu dans ce roman relève d'une violation du secret médical et de ma vie privée".

La thérapie "a été détournée ici pour devenir une source de matière littéraire. Ce n'est pas seulement une erreur, c'est une faute professionnelle, juridique, humaine et éthique", martèle la jeune femme, mariée et mère d'un petit garçon.

Kamel Daoud a démenti avoir puisé dans sa vie pour "Houris". "Mon roman n'a rien à voir avec cette femme-là. (...). Il n'y a aucun secret médical dans ce livre", a-t-il assuré, affirmant que l'histoire de Saâda Arbane était connue de "tout le monde".

Faux, selon la jeune femme: "jamais mon histoire n'a été publique".

Que M. Daoud dise le contraire "revient à me déposséder une seconde fois de ma vérité et de ma voix, on tente de banaliser un acte grave", dénonce-t-elle.

Le texte de l'assignation en justice liste les similitudes entre la jeune algérienne et Aube, le personnage de Kamel Daoud: l'égorgement, la canule, la cicatrice, les tatouages, le salon de coiffure qu'elles possèdent, etc.

Saâda Arbane affirme que l'épouse de l'écrivain l'a approchée plusieurs fois pour que Kamel Daoud écrive son histoire, ce qu'elle dit avoir refusé sans appel.

Se relever

M. Daoud, de son côté, a déclaré que la jeune femme était manipulée par le pouvoir algérien.

"Dire que je suis instrumentalisée par le pouvoir algérien, c'est juste une tentative lâche pour décrédibiliser ma parole en la rendant politique, mais cette affaire ne vient d'aucune manœuvre extérieure", répond Mme Arbane.

En attendant l'issue des plaintes, Saâda Arbane dit que l'affaire a "réveillé des traumatismes qu'(elle) avait mis des années à apaiser".

"J'ai ressenti un sentiment de dépossession terrible, l'impression que ce que j'avais vécu était banal, que j'étais à la merci de n'importe qui, un tueur comme la première fois, un homme, un écrivain", dit-elle.

Mais même si elle se dit psychologiquement "brisée", elle assure qu'elle saura se "relever".

"J'ai initié ces différentes procédures judiciaires en France et en Algérie pour défendre mon intégrité et dire que (...) les histoires oubliées méritent le respect", souligne-t-elle.

"Je ne cherche pas à censurer un écrivain, je cherche à faire reconnaître un préjudice réel et très grave", plaide-t-elle.

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