Chefs d’entreprise : plus de 170 pertes d’activité par jour
Le premier semestre 2025 confirme que la résilience du tissu entrepreneurial français demeure fragile. Les dirigeants, y compris ceux d’entreprises solides, et expérimentés, restent fortement exposés aux pertes d’emploi.

Dans un contexte économique poussif et un climat d’incertitudes commerciales, le tissu entrepreneurial reste fragile. Selon l’Observatoire de l’emploi des entrepreneurs, de l’association GSC (garantie sociale des chefs d’entreprise) et la société Altares (data d’entreprise), publié le 27 août, entre janvier et juin 2025, 31 260 dirigeants ont dû cesser leur activité. Si la progression ralentit par rapport à 2024 (+4,3% sur un an), le volume demeure préoccupant et reflète le climat économique tendu : chaque jour, ce premier semestre, plus de 170 entrepreneurs ont perdu leur emploi, selon les données dévoilées. Hervé Kermarrec, président de GSC, rappelle que « la pression sur les trésoreries, la prudence des consommateurs et les tensions sur certains marchés fragilisent les structures ». Et c’était sans compter sur l’instabilité politique, et ses conséquences, après la décision du Premier ministre d’engager sa responsabilité.
Les petites entreprises en première ligne
Les pertes d’emploi concernent en priorité les dirigeants de petites structures de moins de cinq salariés qui représentent encore l’écrasante majorité (26 313 cas, soit plus de huit sur dix). La situation se dégrade aussi pour les patrons de TPE de 6 à 9 salariés dont les cessations d’activité progressent de 17,2%. Les entreprises de plus de 50 salariés résistent davantage, enregistrant une baisse de 2,4%.
Plus préoccupant, les structures réalisant plus de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires subissent une hausse des pertes d’emploi quatre fois supérieure à la moyenne nationale, signe que les difficultés gagnent désormais des entreprises plus établies.
Les profils expérimentés et les seniors touchés de plein fouet
Concernant le statut juridique, les gérants de SAS représentent la moitié des pertes d’emploi (en hausse de 8,7%). Les dirigeants de SARL, eux, sont moins impactés (-2%) mais restent nombreux (12 023). Les artisans-commerçants ont subi durement l’inflation : 3 111 pertes d’activité (+16,6%). Mais ce sont les professions libérales, qui connaissent la hausse la plus marquée (+56,2%), notamment les acteurs du judiciaire.
L’âge médian des entrepreneurs concernés est de 46 ans. Mais les plus de 60 ans subissent la plus forte hausse (+20,9%, soit 4 229 chefs d’entreprise). A l’inverse les moins de 26 ans sont les plus épargnés (-8,2%). Et en moyenne, les patrons impactés sont souvent à la tête d’entreprises créées depuis plus de dix ans, signe qu’une expérience solide ne met pas à l’abri des difficultés.
La construction et le commerce sous pression
Côté secteurs, toujours sous tension, la construction demeure le secteur le plus touché avec 7 745 dirigeants en arrêt d’activité (+1%), qui pèsent plus du quart du total national. La maçonnerie et le gros œuvre de bâtiment concentrent une part importante des difficultés. Dans le commerce (près de 6 500 pertes d’emploi, +0,1%), la situation est particulièrement tendue pour la vente automobile (+12,7%). L’hébergement et la restauration affichent une progression préoccupante (+11,5%) dont une majorité de dirigeants de la restauration traditionnelle. L’information-communication (+14,1%), le transport-logistique (+11,9%) ainsi que les services aux entreprises (+13%), en particulier dans les activités de conseil pour les affaires, confirment des fragilités persistantes, moindres pour les industriels (+4,4%). Seules les activités financières et d’assurances s’affichent en net recul (-7,6%).
Des disparités régionales
À elle seule, compte tenu de son tissu économique, l’Ile-de-France totalise près 7 500 dirigeants impactés (+4%). L’Auvergne-Rhône-Alpes suit avec 3 623 cessations (+4,9%), particulièrement dans l’industrie et les services aux entreprises, tandis que la Nouvelle-Aquitaine subit une flambée de 18% (2 754), pénalisée par le bâtiment et la restauration. Les Hauts-de-France (+6,2%), les Pays de la Loire (+5,9%) et la Normandie (+5,1%) dépassent également la moyenne nationale. La Bretagne se démarque par le taux le plus faible (+0,7%), porté par la solidité du secteur financier et de l’assurance. Les pertes d’emploi des dirigeants reculent légèrement en Bourgogne-Franche-Comté (-1,4%), Provence-Alpes-Côte d’Azur (-0,8%) et Grand-Est (-0,2%).
Pour Hervé Kermarrec, « le second semestre s’annonce encore complexe et les arbitrages budgétaires de l’Etat seront déterminants ». Thierry Million, directeur des études Altares, alerte pour sa part : « si quelques timides signaux permettent d’envisager une faible amélioration au second semestre, celle-ci devrait être encore insuffisante pour inverser sensiblement la tendance ».
La présence d’enfants dans un foyer jour un rôle significatif dans l’accélération des inégalités salariales. L’écart de rémunération s’établit à 6,1% pour les salariés sans enfants, mais il double à 12% dès l’arrivée du premier enfant, puis atteint 20% pour les parents de deux enfants et grimpe à 29,5% pour les familles nombreuses avec trois enfants ou plus. « Ces différences proviennent à la fois de la baisse de salaire observée après la naissance mais aussi des carrières durablement ralenties des mères », souligne l’Insee.
AÏcha BAGHDAD et B.L