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Dix ans après, la lente reconstruction des survivants et proches de victimes du 13-Novembre

Le soir du 13 novembre 2015, leur vie a basculé. Eva et Bilal ont été grièvement blessés. Stéphane, Eric, Aurélie, Sophie ont perdu un fils, une fille, un compagnon, un père. Une...

Une plaque commémorative apposée à côté du bar "La Bonne Bière" à Paris, le 13 novembre 2024, lors d'un hommage aux victimes à l'occasion du neuvième anniversaire des attentats de Paris du 13 novembre 2015 © Ian LANGSDON
Une plaque commémorative apposée à côté du bar "La Bonne Bière" à Paris, le 13 novembre 2024, lors d'un hommage aux victimes à l'occasion du neuvième anniversaire des attentats de Paris du 13 novembre 2015 © Ian LANGSDON

Le soir du 13 novembre 2015, leur vie a basculé. Eva et Bilal ont été grièvement blessés. Stéphane, Eric, Aurélie, Sophie ont perdu un fils, une fille, un compagnon, un père. Une décennie après ces attentats, ils se confient.

"J'ai une énorme cicatrice au bras", décrit Eva, 35 ans, pull rouge à manches longues sur les épaules. L'été, la Parisienne sent les regards "inquisiteurs" et a songé à la chirurgie réparatrice, mais "sur les peaux noires, c'est un peu compliqué". 

"Ca fait dix ans, elle fait aussi partie de moi", juge la trentenaire, qui raconte publiquement son histoire pour la première fois.  

Le vendredi 13 novembre 2015, Eva fête l'anniversaire de sa meilleure amie au bar La Belle Equipe. 

Elle fume en terrasse avec trois copines lorsque les jihadistes sèment la mort. Le souvenir du "silence effroyable" entre les deux rafales est toujours présent. Les commandos du groupe Etat islamique abattent 21 personnes, dont leur ami, Victor Muñoz. 

Elle prend "entre 4 et 5" balles sur la partie gauche du corps, son pied notamment est touché, sa jambe amputée en-dessous du genou.

Aujourd'hui, Eva, qui porte une prothèse, va "plutôt bien" même si "la vie n'est pas facile tous les jours". 

"C'est compliqué d'avoir confiance en son corps, en soi, aussi bien pour le travail que pour trouver quelqu'un", explique cette jeune femme qui suit une formation pour un projet d'entrepreneuriat au Sénégal.

Elle retourne boire des verres en terrasse. Mais "plus jamais de dos". 

Encore très fragile

A l'approche du 13 novembre 2025, l'AFP s'est entretenue avec une dizaine de rescapés ou proches de victimes de ces attentats qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés près du Stade de France à Saint-Denis, sur les terrasses et au Bataclan à Paris. 

Pour se reconstruire, certains ont trouvé refuge dans l'écriture, ont témoigné dans des écoles, des liens entre victimes se sont tissés. Souvent, ils appréhendent la date anniversaire.   

"Elle nous hante tout le temps", explique Bilal Mokono, précisant avoir "toujours très mal dormi" depuis ce soir-là. Blessé par un kamikaze près du Stade de France, ce quinquagénaire reçoit chez lui, en banlieue parisienne, dans son fauteuil roulant. 

Il raconte avoir perdu l'usage de ses jambes après l'attentat car son "cerveau ne reconnaît plus" qu'il a des jambes, "comme un appareil connecté, la connexion Internet s'est barrée". Il n'entend toujours "plus rien" de l'oreille gauche, avec un bras droit "toujours très fragilisé".

Au Stade de France, la seule personne tuée s'appelait Manuel Dias, 63 ans. 

"Je trouve que c'est important de marquer les 10 ans", témoigne sa fille, Sophie Dias. "L'absence est là tous les jours et la difficulté, on la vit au quotidien. Et ça, il ne faut vraiment pas l'oublier", exhorte celle qui parle longuement de ce "papa unique".

"Je suis encore très fragile", confie la quadragénaire, pour qui il est "impossible de prendre les transports en commun, de [s]e rendre au cinéma par exemple, de manger sur une terrasse".

Vous avez peur que votre père soit oublié? "Complètement", répond-elle, sans hésiter.

A l'inverse, Fabien Petit, beau-frère de Nicolas Degenhardt, fauché à 37 ans par 13 balles de fusils d'assaut sur la terrasse de la Bonne Bière, comme quatre autres personnes, anticipe l'oubli. 

"On ne va pas vivre que sur le 13 novembre", estime-t-il, évoquant notamment "plein d'actes de barbarie" qui se sont déroulés depuis en France. 

Fabien pense aller "mieux" même si "les larmes" montent en parlant de ce drame. "On a été suivis par un psychologue, psychiatre, pour moi. Il y a un moment donné, ça n'allait pas du tout, j'avais des idées noires", se remémore-t-il. "Le procès nous a fait du bien aussi".

  

Je vais bien

Les dix mois de procès, en 2021-2022, aboutissant notamment à la condamnation à la perpétuité incompressible de Salah Abdeslam, seul membre vivant des commandos, Aurélie Silvestre les a racontés de manière "assez intime" dans "Déplier le coeur" (Editions du Seuil), son deuxième livre sur le 13-Novembre.

Son compagnon, Matthieu Giroud, a été tué au Bataclan, comme 89 autres personnes.  

"Quand on est impacté par un attentat, il y a une déflagration qui est telle que tout s'envole. J'ai l'impression qu'écrire, ça me permet de récupérer un peu les débris et de les mettre ensemble", développe-t-elle.

"Dans les circonstances qui sont les miennes, je vais bien, je vais très bien. Après, ce n'est évidemment pas simple. J'élève seule deux enfants dont le père a été assassiné", assène-t-elle, le regard vif.  

"Ma petite fille qui est là ne le connaîtra jamais puisqu'il est mort quand j'étais enceinte d'elle", ajoute Aurélie.

Ce soir d'octobre, dans une librairie du 13e arrondissement, elle est venue assister au lancement du livre d'Arthur Dénouveaux, "Vivre après le Bataclan" (Editions Cerf).

Aujourd'hui, "80% de mon paysage affectif est composé de victimes", avec qui "on peut rire très fort, on peut pleurer aussi", souligne Aurélie. 

Elle raconte son histoire dans des classes et en prison.   

 

+Vous serez seul+

Quand la fille d'Eric Ouzounian, Lola, 17 ans, est morte au Bataclan, un psy l'a prévenu: "Vous ne ferez pas le deuil et vous serez seul". 

"Dix ans après, c'est toujours aussi juste. On ne fait pas le deuil d'un enfant", constate, autour d'un café et d'une cigarette, ce journaliste de 60 ans.

En 2015, il avait refusé de se rendre à l'hommage aux Invalides, critiquant, dans une tribune au Huffington Post, la "lourde responsabilité" de l'Etat, qui avait laissé se développer, affirmait-il, des "zones de désespoir", des "+quartiers sensibles+", d'où étaient originaires certains jihadistes, et mené une "politique désastreuse" au Moyen-Orient, notamment en Syrie.

Aujourd'hui, il estime que les conditions de vie dans ces quartiers ne se sont pas améliorées et leur population "toujours" aussi "méprisée par la République". 

Et Eric de déplorer que "ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande" n'aient admis avoir "mis le pays en danger" par "des actions de politique étrangère inconsidérées".    

Interrogé par l'AFP, François Hollande lui a répondu, rappelant que ces jihadistes n'avaient pas visé "n'importe quel lieu": un stade, des terrasses de café, une salle de spectacle. 

"Nous sommes la liberté, la vie en commun, le pluralisme. C'est ça qui est insupportable pour les terroristes", estime l'ancien président. 

Rescapé de La Belle Equipe, Roman témoigne notamment pour que, dans la mémoire collective, on ne se souvienne pas uniquement du massacre au Bataclan.

"Parfois, on se sent oublié", regrette cet homme de 34 ans, assis en terrasse d'un café parisien.

Le programme de recherche "13-Novembre" a mis en évidence un "effondrement des références au Stade de France et aux terrasses" comme lieux des attentats du 13-Novembre identifiés par la population française, au fil des années, rappelle l'historien Denis Peschanski et le Bataclan reste le lieu le plus cité, malgré une forte baisse.      

Quelques années après, Roman, lui, est devenu prof. 

"Je me suis dit qu'enseigner l'histoire-géo, c'était important pour ne pas que ça se reproduise et transmettre aux jeunes ce qui nous est arrivé aussi à travers l'Histoire." 

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