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Genève met au ban les élèves frontaliers, colère côté français

Parents dévastés, enfants inquiets, communes et élus français en colère: les autorités cantonales de Genève ont décidé d'exclure les élèves frontaliers des bancs de leurs écoles...

L'école de Grand-Saconnex-Place à Le Grand-Saconnex, en Suisse, le 15 octobre 2025 © Fabrice COFFRINI
L'école de Grand-Saconnex-Place à Le Grand-Saconnex, en Suisse, le 15 octobre 2025 © Fabrice COFFRINI

Parents dévastés, enfants inquiets, communes et élus français en colère: les autorités cantonales de Genève ont décidé d'exclure les élèves frontaliers des bancs de leurs écoles, suscitant incompréhension et frustration côté français.

Le bureau de Jean-Luc Pecorini, maire de la petite commune de Bossey en Haute-Savoie, surplombe la frontière suisse, située à environ 50 mètres de l'autre côté d'une route départementale. Au loin s'étend la ville de Genève.

Comme ailleurs dans la région, Bossey accueille des travailleurs frontaliers, dont de nombreux Suisses, qui ne peuvent plus se loger à Genève, une des villes les plus chères au monde. Aussi, M. Pecorini juge "abrupte" la décision genevoise, tombée en juin, de bannir dès la rentrée 2026 les élèves frontaliers, qui sont en très grande majorité suisses.

"On n'est pas contents", réagit-il face à l'AFP, évoquant un sentiment partagé par d'autres maires français. Ouvrir une nouvelle classe coûterait quelque 80.000 euros, explique-t-il.

Selon une source proche du dossier côté français, le nombre d'élèves concernés pour l'instant est d'environ 2.500, "mais par la suite c'est un flux continu d’élèves qui auraient été normalement scolarisés à Genève qui ne le seront pas".

Le coût financier des conséquences de cette décision est évalué à 60 millions d'euros pour la France (coût de scolarisation et des infrastructures), plus par la suite environ 15 millions par an, selon cette même source.

 - "Citoyens suisses de seconde zone" -

Malgré les protestations et appels qui se multiplient, Genève demeure inflexible, invoquant le manque de places dans ses écoles et la pression démographique.

"Les quelque 2.000 élèves frontaliers actuels qu'il ne faudra progressivement plus scolariser d'ici à 2029 correspondent à un peu plus de 200 postes de travail", principalement des enseignants, "soit une économie d'un peu plus de 27 millions sur 4 ans", ont indiqué les autorités genevoises à l'AFP.

Pour les parents, c'est l'incompréhension.

Roberto Balsa, un frontalier de 47 ans qui travaille dans l'informatique, déplore que Genève "mette dans la balance l'économie et les enfants".

"La nouvelle a très brutale" y compris pour sa fille de 7 ans, à qui d'autres enfants "ont dit qu'elle était une frontalière et qu'elle n'a rien à faire" à l'école suisse, raconte-t-il. Une stigmatisation évoquée par beaucoup de parents concernés.

Les familles sont d'autant plus choquées qu'elles sont en très grande majorité suisses.

"On est devenu des citoyens suisses de seconde zone", se désole Joana, 35 ans et mère de deux enfants, qui souhaite garder l'anonymat par peur de représailles sur le plan professionnel.

Comme de très nombreux frontaliers, cette jeune femme suisse, qui travaille dans le secteur de la santé, a quitté Genève en raison du manque de logements. 

"On a accepté de quitter notre logement insalubre au centre-ville pour nous installer en campagne, mais le fait de passer cette frontière était conditionné à cet accès à l'école" suisse, expose-t-elle.

 - "Très forte tension" -

Certains parents se sont regroupés autour du collectif "Ecole pour tous". Des familles ont déposé des recours devant la justice à Genève, d'autres participent à une pétition en ligne.

A l'image d'Emmanuel, qui a requis l'anonymat pour se prémunir des critiques anti-frontaliers sur les réseaux sociaux. Père de quatre enfants, il juge la décision genevoise "discriminatoire", faisant valoir que les frontaliers paient leurs impôts à la source en Suisse, avec seulement un tiers reversé en France.

Au-delà de la mesure, l'absence de concertation a aussi choqué. En France, élus et représentants de l'Etat réclament la suspension de la décision pour ouvrir le dialogue.

"L'ensemble des autorités françaises partage l'idée qu'on ne peut plus accepter que Genève, en raison du manque de logement, déporte l'accueil des travailleurs sur le territoire français sans réelle prise en compte de l'impact financier que cela génère", a indiqué la préfecture de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à l'AFP.

En outre, a-t-elle relevé, "en renvoyant des élèves qui habitent en France, qui sont à 80% suisses et qui ont dans la quasi-totalité vocation à travailler en Suisse, Genève exporte la charge de la scolarisation en France alors que nos écoles sont déjà sous très forte tension en termes de capacité" dans cette zone appelée "France voisine" en croissance démographique constante.

Florent Benoit, président de la Communauté de communes du Genevois, regroupant 17 communes de Haute-Savoie, se demande où va s'arrêter Genève "dans la sous-traitance" des politiques publiques.

"Aujourd'hui on parle d'éducation, demain on parlera de quoi : des prisons ?" tonne-t-il.

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