Luxe : la France, reine d'une filière chahutée
Après trois années post-covid «euphoriques», 2024 aura été marquée par un ralentissement global de l'industrie du luxe au cours duquel plusieurs grands groupes hexagonaux ont souffert. Des signes de reprise en fin d'année laissent toutefois espérer de meilleurs millésimes. Analyse avec l'économiste Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode.
Après trois années d'une croissance exceptionnelle, l'industrie française du luxe - première au monde avec plus de 150 milliards d'euros de chiffre d'affaires et un million d'emplois directs et indirects (voir encadré) -, a enregistré une baisse de 2% de son CA en 2024, voyant plusieurs de ses grands groupes souffrir. Le bénéfice net du numéro un mondial LVMH (Louis Vuitton, Dior, Givenchy, Céline, Moët et Chandon, Hennessy, etc.) a plongé de 17%, quand celui de Kering (Gucci, Yves Saint-Laurent, Balenciaga…) s'est effondré de 62%.
De grands noms ont toutefois tiré leur épingle du jeu, à l'image d'Hermès, qui a réalisé une année record avec un bénéfice net en hausse de 6,8% et un chiffre d'affaires de plus de 15 milliards d'euros, se rapprochant de celui de Kering (17 milliards). «Globalement la situation est moins facile que ce qu'elle a été depuis la période post-covid», constate Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode. «C'est un vrai sujet, même si l'on reste très au-dessus des chiffres de 2019», tempère l'économiste.
La Chine, fil rouge du marché
En tête de pont des causes de l'essoufflement, «la faible croissance de la Chine (premier marché mondial du secteur, ndlr), qui rejaillit sur sa consommation de produits de luxe». La croissance chinoise a en effet poursuivi son ralentissement en 2024, à +4.,9% de variation du PIB contre 5,2% en 2023.
Par ailleurs, les augmentations de prix des grandes maisons, qui ont grimpé de 33% en moyenne depuis 2019, ont permis de maintenir des marges confortables mais ont fini par freiner la demande. «Il faut des actions extrêmement concrètes de la part des entreprises, notamment sur leur politique de prix», pointe Pascal Morand. Un levier parmi d'autres dans un contexte de commerce international tendu, notamment au regard de la menace du décuplement des droits de douanes souhaité par Donald Trump, frein évident à l'entrée des produits français sur un territoire états-unien jusqu'ici très prometteur.
Quid des années à venir ? Selon une étude du cabinet McKinsey, la croissance du marché du luxe sera loin derrière celles à deux chiffres qui ont marqué la période post-crise sanitaire : entre 1 et 3% annuels jusqu'en 2027, avec un marché chinois du luxe qui devrait rester stable en 2025. En mars dernier, BDO tablait sur une reprise de la consommation de produits de luxe grâce au rebond de la croissance mondiale (+3,2% en 2024).
La clé de l'éthique
Une dynamique qui sera influencée par plusieurs tendances émergentes, selon le cabinet d'audit : montée du luxe expérientiel, usage croissant des nouvelles technologies et… besoin d'authenticité et de sobriété. Sur ce dernier point, le directeur de la division horlogère et joaillière de Chanel entrevoit un facteur «beaucoup plus inquiétant» qui expliquerait pourquoi cette crise pourrait davantage durer : une forme de «fatigue du luxe», avait analysé Frédéric Grangié auprès du quotidien suisse Le Temps. Pascal Morand évoque des défis liés à l'éthique, à l'environnement, à la perpétuation des savoir-faire, mais aussi aux mouvements sociétaux, «parfois d'ailleurs annoncés par les créateurs de mode», sourit-il. Parmi les cibles à (re)conquérir : les jeunes, et notamment via le sport. En atteste - exemple parmi tant d'autres -, le partenariat de LVMH avec les Jeux olympiques de Paris 2024.
La filière du luxe en France*
- Premier acteur mondial (25% des ventes)
- 3% du PIB national
- Premier secteur d'exportation du pays
- Un million d’emplois directs et indirects
- Plus de 150 milliards d'euros de chiffre d'affaires
*Source : ministère de l'Économie. L'étude prend en compte les activités : textile, mode et habillement, travail du cuir, horlogerie, bijouterie et joaillerie.