La justice se penche sur la politique sociale de Carrefour, attaquée par la CFDT
Le passage en location-gérance de nombreux magasins Carrefour cache-t-il un "plan social déguisé", comme l'affirme la CFDT ? La justice se penche vendredi sur la question, un an et demi après l'assignation du...

Le passage en location-gérance de nombreux magasins Carrefour cache-t-il un "plan social déguisé", comme l'affirme la CFDT ? La justice se penche vendredi sur la question, un an et demi après l'assignation du géant de la distribution par le syndicat.
Depuis l'arrivée à sa tête d'Alexandre Bompard en 2017, Carrefour fait évoluer son modèle pour exploiter de plus en plus largement des magasins en franchise et en location-gérance, une variante de franchise où le distributeur reste propriétaire du fonds de commerce.
Cela lui permet notamment de conserver sa part de marché commerciale et de sortir de ses comptes des magasins déficitaires... Tout en évitant de supporter certains coûts de fonctionnement comme les salaires, pris en charge par un commerçant indépendant.
Depuis 2018, 344 supermarchés et hypermarchés sont ainsi passés en location-gérance, soit plus de 27.000 salariés, selon la CFDT.
Dénonçant un "plan social déguisé", le syndicat a attaqué Carrefour en mars 2024 pour pratiques abusives devant le tribunal judiciaire d'Evry (Essonne). Il réclame 23 millions d'euros d'indemnisation pour la salariés lésés et l'arrêt des transferts en location-gérance.
Une "quarantaine de militants" sont attendus sur place avant le début de l'audience à 15H00, a indiqué à l'AFP Erwanig Le Roux, délégué CFDT du groupe Carrefour.
Conséquences sociales
Plus tôt dans l'année, la CFDT avait demandé au même tribunal, duquel dépend le siège de Carrefour à Massy, d'empêcher le passage en 2025 d'une quarantaine de magasins en location-gérance, dans l'attente d'un jugement sur le fond. Mais le juge des référés s'est déclaré incompétent fin mars.
La location-gérance "sert en général à l'expansion" d'une entreprise, a expliqué M. Le Roux, reprochant à Carrefour d'y recourir "à l'envers". "En un claquement de doigts, ils se débarrassent d'un hypermarché, de ses salariés, de son déficit", en contournant les "dispositifs légaux" habituels comme les plans de sauvegarde de l'emploi, "plus coûteux", a-t-il estimé.
"Je ne comprends pas comment on peut nous reprocher d'avoir mis en place un dispositif qui était très exactement destiné à préserver le magasin et les emplois qui s'y attachent", s'étonne auprès de l'AFP le directeur exécutif des ressources humaines de Carrefour, Jérôme Nanty.
Ce modèle a permis de sauver des magasins, s'était défendu Alexandre Bompard en mai, invoquant notamment la forte concurrence des plateformes asiatiques comme Shein et Temu.
Mais pour la CFDT, cette stratégie entraîne de lourdes "conséquences sociales dont l'entreprise malheureusement ne se préoccupe pas", relate Erwanig Le Roux.
Car s'ils conservent leur tenue Carrefour, les salariés passés en location-gérance perdent -- passé un délai de 15 mois durant lequel peut être négocié un accord de substitution -- certains avantages sociaux (primes d'intéressement et de participation, 6e semaine de congés, etc.) propres au géant coté au CAC 40.
Cellule psychologique
Au total, selon la CFDT, la perte de rémunération dépasse les 2.500 euros par an.
Ce montant cumule des "hypothèses qui dans la réalité ne se produisent jamais ensemble", répond Jérôme Nanty.
Autre motif d'inquiétude pour la CFDT, la dégradation des conditions de travail et la baisse des effectifs constatés selon elle dans les magasins en location-gérance.
Les effectifs de ces magasins ont évolué au même rythme que dans "les magasins intégrés" ou dans le reste de "la grande distribution", assure pour sa part M. Nanty.
Reste qu'au Carrefour Douai-Flers, situé à Flers-en-Escrebieux (Nord) et passé en location-gérance en mars 2024, "les salariés sont déprimés" assure à l'AFP Estelle Faggiano, déléguée CFDT. "On a dû ouvrir une cellule psychologique", ajoute cette hôtesse de caisse de 43 ans, dont 25 chez Carrefour.
Selon elle, les effectifs de son magasin sont tombés dernièrement de "285 à 244". "Au début, c'était une fierté, travailler chez Carrefour" mais "ça s'est dégradé", déplore-t-elle, blâmant le distributeur pour son absence de "suivi".
Le combat de la CFDT n'est pas la seule épine dans le pied de l'entreprise.
L'Association des franchisés Carrefour (AFC), qui revendique 260 magasins, l'a assignée fin 2023 devant le tribunal de commerce de Rennes, dénonçant une relation commerciale déséquilibrée.
Elle est soutenue par le ministère de l'Economie, qui a préconisé d'infliger à Carrefour une amende de 200 millions d'euros.
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