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Le pouvoir d’achat, mot d’ordre de la contestation sociale en France !

En réponse au plan d’austérité proposé par François Bayrou avant sa chute, la France a connu deux journées de contestation, ces 10 et 18 septembre. En filigrane, c’est toujours la question du pouvoir d’achat qui affleure…

© Pixabay.
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Selon un sondage Ipsos-BVA-CESI, réalisé les 3 et 4 septembre, le mouvement social «Bloquons tout » du 10 septembre s’expliquerait, pour plus de la moitié des répondants, par la baisse du pouvoir d’achat des ménages. De même, dans les revendications de la mobilisation syndicale très suivie du 18 septembre, la question de l’augmentation des salaires était une priorité ; Force Ouvrière (FO), considérant ainsi, dans son communiqué, que « la facture pèse toujours sur les mêmes, les travailleuses et travailleurs subissent systématiquement des remises en cause de leurs droits et de leur protection sociale, par une austérité et une flexibilité accrue. » C’est là un paradoxe, dans la mesure où si les ménages ont le sentiment que leur pouvoir d’achat se dégrade, les statistiques montrent au contraire sa hausse.

Revenus, prix et pouvoir d’achat

Mais pour y voir clair, encore faut-il s’entendre sur une définition du pouvoir d’achat. De manière générale, il correspond à la quantité de biens et de services qu’un ménage peut acheter avec ses revenus. Dès lors, le pouvoir d’achat ne peut augmenter que si la hausse des revenus est supérieure à celle des prix. Pour produire ses statistiques, l’Insee a ainsi choisi de s’appuyer sur le revenu disponible brut (RDB) des ménages, i.e. les revenus d’activité (revenus du travail, revenus du patrimoine) augmentés des prestations sociales reçues et diminués des cotisations sociales et impôts directs versés. Et pour mesurer l’évolution des prix, elle utilise l’indice des prix à la consommation (IPC), bâti sur le célèbre panier de la ménagère, ensemble de biens et services pondérés par leur poids respectif dans la dépense moyenne de consommation des ménages.

Sur l’année 2024, le RDB a progressé de 4,8 % (+7,9 %, en 2023) et l’inflation a reflué à 2,2 % (7 %, en 2023), de sorte que le pouvoir d’achat du revenu disponible a augmenté de 2,6 % (0,8 %, en 2023). Et au deuxième trimestre 2025, l’Insee vient d’annoncer que le RDB augmente de 0,3 %, les prestations sociales de 0,7 %, tandis que l’inflation se replie légèrement à -0,1 %, tant et si bien que le pouvoir d’achat du RDB des ménages accélère de 0,4 %, contre seulement 0,1 % le trimestre dernier. En paraphrasant le Candide de Voltaire, tout serait-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

Structure des ménages et pouvoir d’achat

Force est d’abord de constater que, par construction, cette mesure du pouvoir d’achat du RDB est un indicateur bien trop macroéconomique. C’est pourquoi l’Insee cherche ensuite à le ramener au niveau individuel tout en tenant compte de la taille des familles et de l’âge de leurs membres. En effet, les besoins d’un ménage ne s’accroissent pas en stricte proportion de sa taille, chacun pouvant profiter de certaines dépenses. Dès lors, si l’on considère le premier adulte du ménage comme 1 unité de consommation (UC), les autres personnes de 14 ans ou plus pour 0,5 UC et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC, il devient possible de calculer le pouvoir d’achat par unité de consommation. En 2024, ce dernier accélère fortement de 2,1 %, contre 0,3 % en 2023. Et au deuxième trimestre 2025, il est en très légère hausse de 0,2 %, après un recul de 0,1 % le trimestre d’avant.

Le ressenti des ménages

Comment expliquer alors que tant de ménages partagent un (res)sentiment de perte de pouvoir d’achat ? Si la psychologie des consommateurs peut apporter des éléments de réponse, elle ne permet pas d’en conclure qu’ils sont tous victimes d’une illusion. En revanche, elle permet de comprendre pourquoi le retrait des aides liées à l’inflation et à la pandémie, conjugué au martèlement des annonces d’austérité, peut conduire à une perception bien plus négative de la situation.

Par ailleurs, l’indice des prix à la consommation utilisé dans les statistiques n’est pas exempt de critiques, en ce qu’il repose sur le poids moyen des dépenses de consommation des ménages, alors qu’en pratique, il existe autant de structures de consommation qu’il y a de ménages. En conséquence, une hausse de certains prix peut ainsi objectivement peser plus lourdement sur certains ménages, alors même que le taux d’inflation moyen n’aura presque pas varié.

De plus, de très nombreuses dépenses résultent de contrats et abonnements (dépenses liées au logement, remboursements de prêt, assurances obligatoires, téléphone et Internet…). Ces dépenses pré-engagées, difficilement renégociables à court terme, n’en constituent pas moins des priorités dans les dépenses mensuelles des ménages, limitant d’autant leurs marges de manœuvre financières. Or, la part de ces dépenses contraintes a doublé en 50 ans et représente désormais près du tiers de leur budget, et même bien plus pour les plus modestes !

Une chose est certaine, dans le contexte effervescent actuel, pouvoir d’achat et rigueur entreront inévitablement en conflit lors des débats parlementaires sur le budget. Et avec un gouvernement sans réelle majorité pour le soutenir, des ajustements fiscaux fort déplaisants sont à craindre…