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Droit / Innovation

Lille : quand les robots s’invitent au greffe du tribunal judiciaire

À Lille, le tribunal a développé, en partenariat avec l’École ENIGMA, des solutions robotiques permettant d’automatiser des tâches répétitives et chronophages des agents. Rencontre avec le directeur de greffe du tribunal de Lille, Pierre Roussel. 


© Adobe Stock
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« Débarrasser les fonctionnaires du greffe de tâches chronophages, et notamment des tâches de saisie, qui peuvent entraîner des erreurs. » C’est l’objectif qui a conduit le directeur de greffe du tribunal judiciaire de Lille, Pierre Roussel, à nouer un partenariat avec l’École supérieure des sciences de l’informatique de Lille (ENIGMA) pour coconstruire des solutions robotiques afin d’alléger la charge de travail du greffe, et ainsi « moderniser les pratiques judiciaires », a-t-il expliqué lors de la présentation de trois de ces robots dans le cadre des Rendez-vous des Transformations du droit, fin novembre 2025, à Paris.

Pour les agents du greffe, ces innovations ont permis « de réduire les tâches répétitives et chronophages, d’améliorer la fiabilité et la traçabilité des opérations, et de libérer du temps pour des missions à forte valeur ajoutée », a-t-il poursuivi. Dans un contexte de restrictions budgétaires – « l’État doit se serrer la ceinture, et on cherche à faire des économies partout », a-t-il rappelé –, ces réalisations ont été menées à bien grâce à l’intégration d’élèves de l’école ENIGMA pour travailler sur ces projets en immersion dans le service de greffe du tribunal.

Automatiser l’envoi des courriers du greffe

Premier projet : automatiser l’envoi des courriers du greffe en utilisant la plateforme IMPRIM’FIP, développée par la Direction des finances publiques pour l’envoi de courriers administratifs en grand nombre. C’est sur ce portail en ligne que les agents des impôts déposent les courriers adressés aux contribuables. Des robots impriment, plient, mettent sous enveloppe et affranchissent tous ces courriers, qui sont déposés dans un même bureau de poste où le tri est totalement mécanisé. Et le recours à ce dispositif permet aussi de faire des économies sur les tarifs postaux.

Aujourd’hui, à Lille, « l’agent du greffe qui imprimait, pliait, mettait sous enveloppe et affranchissait, n’a plus qu’à se connecter à un portail pour déposer les documents », a expliqué le directeur de greffe. Et « on fait 55% d’économies sur le prix du timbre ». Or, le volume des courriers adressés par les tribunaux est important. « Nous sommes en expérimentation depuis mars, et nous venons de dépasser les 30 000 euros d’économies rien que pour ma juridiction, et ce, sur un tout petit périmètre, parce que les documents doivent au préalable être reformatés par l’administration centrale pour être conformes aux normes de La Poste. »

La généralisation de cette expérimentation pourrait faire gagner beaucoup de temps et d’argent aux juridictions. « Sur la juridiction de Lille, le jour où tous les courriers seront déposés sur ce portail, ce sont au minimum deux ETP [équivalents temps plein] de fonctionnaires qui pourront être reconvertis dans d’autres services. Et si ce dispositif était utilisé par tous les tribunaux judiciaires de la cour d’appel de Douai, on a estimé l’économie [en frais de timbres] à 1 million d’euros en année pleine. »

Aujourd’hui, les élèves de l’école ENIGMA finalisent une nouvelle fonctionnalité qui devrait être déployée d’ici la fin de l’année : la possibilité pour les agents du greffe de déposer des courriers en recommandé avec accusé de réception et de récupérer automatiquement les preuves de dépôt et les accusés de réception.

Faciliter le dépôt des demandes d’AJ par les avocats

Autre solution robotique mise au point dans le cadre de ce partenariat : BARÔBAJ, qui automatise le dépôt des demandes d’aide juridictionnelle (AJ) par les avocats du barreau de Lille. Alors que les justiciables peuvent déposer leur demande en ligne via le Système d’information de l’aide juridictionnelle (SIAJ), les avocats n’y ont pas accès et doivent déposer les demandes au greffe qui les enregistre. C’est l’ordre des avocats au barreau de Lille qui a sollicité le directeur du greffe pour trouver une solution. Elle a pris la forme d’un robot qui se connecte au site demarches.simplifiees.fr pour récupérer les informations et les pièces jointes de chaque dossier et procède au remplissage automatique des demandes d’AJ. Un agent du greffe vient ensuite contrôler et valider les dossiers. Et pour les documents qui sont encore déposés en format Cerfa, une suite logicielle a été développée pour intégrer le Cerfa scanné dans le SIAJ.

Aujourd’hui, au tribunal judiciaire de Lille, « des fonctionnaires du bureau d’aide juridictionnelle peuvent totalement télétravailler » car « nous avons 100% des demandes d’AJ en numérique », s’est félicité le directeur du greffe. « Pour une juridiction qui reçoit entre 20 000 et 25 000 demandes d’AJ par an, cela représente une réduction des stocks par trois, une réduction des données par trois environ, une réduction des délais de traitement des demandes – le délai moyen est de 10 jours –, et une sécurisation des flux parce que tout est numérique et sauvegardé. » Et pour les agents du greffe, « toute cette partie du travail qui n’est pas intéressante, qui est chronophage et peu valorisante, a été gommée grâce à notre petit robot » et « ils retrouvent du temps pour leur cœur de métier qui est d’analyser l’éligibilité à l’AJ des demandeurs ».

Cette solution est néanmoins provisoire pour les avocats au barreau de Lille, car il est prévu qu’un espace soit prochainement ouvert sur le SIAJ pour tous les avocats, qui pourront alors faire ce que les avocats lillois peuvent déjà faire grâce à BARÔBAJ.

Envoyer les avis de classement sans suite aux plaignants

L’autre projet développé dans le cadre de ce partenariat concerne la matière pénale. Lorsque le parquet classe une infraction, la loi prévoit qu’il doit envoyer un avis de classement sans suite au plaignant. Dans les faits, les parquets, surchargés, n’ont pas le temps d’adresser d’avis à tous les plaignants. Au parquet de Lille, par exemple, « 200 000 procès-verbaux arrivent chaque année, dont environ 100 000 plaintes contre X », a précisé le directeur du greffe. Beaucoup seront classés sans suite. Désormais, le robot ACSS (avis de classement sans suite) récupère dans le système de gestion électronique des documents du greffe « tous les classements sans suite incorporés automatiquement dans la PPN [procédure pénale numérique] et ; à partir des numéros de dossier, il va fusionner les avis de classement sans suite que l’on va ensuite pouvoir déposer sur IMPRIM’FIP ».