Droit

Résidents luxembourgeois et IFI : changement de paradigme ?

Dans un arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation a jugé que les parts détenues par des résidents du Luxembourg dans le capital de SCI françaises constituaient des biens immobiliers au sens de la convention entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958. En conséquence, la Cour en a déduit que ces parts étaient imposables à l’ISF en France.



(c) Laurence Deleau. Manfred BLOT de Koezyo Avocats
(c) Laurence Deleau. Manfred BLOT de Koezyo Avocats

Dans cet arrêt, la Cour relève que l'article 20 de la convention de 1958 désignait comme seul compétent pour taxer la fortune consistant en des biens immobiliers, l'Etat qui était autorisé par cette convention à imposer le revenu qui provient de ces biens. Elle relève ensuite que l’article 3 de cette convention permet à l’Etat de situation des immeubles de taxer les gains tirés de l'exploitation ou de l'aliénation d'immeubles réalisés au travers de sociétés et ceux tirés de l'aliénation de droits sociaux de sociétés à prépondérance immobilière. Elle en conclu que les parts de SCI françaises propriétaires de biens immobiliers situés en France sont des biens immobiliers au sens de la convention.

La motivation apparaît contestable car la Cour de cassation déduit une définition conventionnelle des biens immobiliers d’une règle de désignation de l’Etat compétent pour taxer la fortune consistant en des biens immobiliers. Cela tient du syllogisme.

Les premiers commentaires de cet arrêt s’inquiètent de la possible transposition de la solution qu’il pose à la convention fiscale du 20 mars 2018, actuellement en vigueur entre la France et le Luxembourg qui est applicable à l’IFI.

Nous ne le pensons pas.

Une décision fondée sur la rédaction de la convention de 1958.

En effet, l’arrêt du 2 avril 2025 est motivé dans des termes qui permettent de penser sérieusement que les parts de SCI françaises détenues par des résidents luxembourgeois ne peuvent pas, en application de la convention du 20 mars 2018, être assujetties à l’IFI en France.

Dans son arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation a pris la précaution de préciser que c’est « au sens de la convention » de 1958 que les parts de SCI françaises et propriétaires de biens immobiliers français constituent des biens immobiliers.

La convention de 1958 ne contenait aucune définition des biens immobiliers.

La Cour s’est alors livrée à une interprétation de la convention fondée sur des stipulations qui créaient un lien entre le droit de taxer la fortune immobilière et le droit de taxer les gains tirés de l’aliénation d’immeubles ou de droits sociaux de sociétés à prépondérance immobilière,

(c) Laurence Deleau. Antoine BLOT de Koezyo Avocats

La convention de 2018 a une rédaction très différente.

Dans son article 21, la convention de 2018 détermine l’Etat compétent pour taxer les éléments de la fortune des contribuables en fonction de la nature de ces éléments et sans lien avec le droit de taxer les gains tirés de l’aliénation des biens immobiliers.

Ainsi, selon la convention de 2018 (article 21), la fortune constituée de biens immobiliers est imposable dans l’Etat de situation de ces biens.

Au contraire de celle de 1958, la convention de 2018 ne fait aucun lien entre le droit de taxer la fortune immobilière et celui de taxer les revenus tirés de ces biens.

Par ailleurs, les stipulations de la convention de 2018 relatives aux revenus immobiliers ne reprennent pas les celles des paragraphes 3 et 4 de l’article 3 de la convention de 1958 sur lesquelles l’arrêt du 2 avril 2025 fonde son argumentation.

Pour la définition des biens immobiliers, la convention de 2018 renvoie à la définition de ces biens dans le droit de l’Etat de situation de ces biens.

Or, juridiquement, les droits sociaux des sociétés détenant des immeubles y compris de manière prépondérante, constituent des biens meubles et non des biens immobiliers.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 2 octobre 2015 rendu par son Assemblée plénière, a jugé que les parts d’une société immobilière monégasque propriétaires d’immeubles en France constituaient des biens incorporels de nature mobilière pour l’application de la convention franco-monégasque du 1er avril 1950. Cette solution vaut également pour l’impôt sur la fortune.

Bien que cette décision ait été rendue dans un cas qui concernait une société monégasque, elle est transposable aux parts de sociétés françaises qu’elles soient ou non à prépondérance immobilière.

L’arrêt du 2 octobre 2015 est d’autant plus important qu’il revenait justement sur une position contraire déjà exprimée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 octobre 2012.

On craint parfois que la généralité du renvoi par la convention fiscale à la définition des biens immobiliers donnée par le droit de l’Etat de situation de ces biens permettrait à la France de définir ces biens au sens de son droit fiscal.

A cette crainte, on peut opposer trois arguments essentiels.

  • L’article 6 de la convention de 2018 qui renvoie à la définition des biens immobiliers par le droit de l’Etat de situation de ces biens précise que cette notion comprend en tous les cas les accessoires notamment « les droits auxquels s’appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière. » La convention de 2018 renvoie donc à une définition de droit privé des biens immobiliers.

  • La convention de 2018 n’assimile pas les titres de sociétés à prépondérance immobilière à des biens immobiliers. Au contraire, dans son article 13, elle distingue les gains tirés de l’aliénation des biens immobiliers de ceux tirés de l’aliénation de titres de sociétés à prépondérance immobilière.

  • L’article 965 du CGI qui définit l'assiette de l'IFI distingue les biens et droits immobiliers des parts ou actions des sociétés établies en France ou hors de France détenant des biens ou droits immobiliers.



L'arrêt du 2 avril 2025 rappelle donc que seule la convention fiscale prévaut : sans clause expresse dans la convention de 2018, l’IFI ne peut s’étendre aux parts de SCI détenues par des résidents luxembourgeois.

Par Manfred BLOT et Antoine BLOT - Koezyo Avocats