Infrastructures
Trois mois de remue-méninges pour financer les transports
Le 5 mai, le Premier ministre a lancé « Ambition France Transports », une séquence qui doit trancher, d’ici la fin juillet, sur l’avenir des routes, du rail et des voies d’eau, menacés de dégradation. Les recettes futures des péages autoroutiers pourraient être mises à contribution.

Des experts, des élus, des conseillers qui se connaissent tous et se déplacent, ensemble, loin de la capitale, un Premier ministre affirmant que « ce n’est pas dans des bureaux à Paris que les décisions doivent se prendre », de belles images au soleil. L’ouverture de la conférence « Ambition France Transports », le 5 mai à Marseille, avait tout de la grand-messe comme la République aime en organiser.
Le constat est partagé depuis des années : les infrastructures de transport, le rail, la route, la voie fluviale, se dégradent, et leur indispensable modernisation va coûter plusieurs dizaines de milliards d’euros. Par ailleurs, le fléchage des dépenses doit privilégier les modes « bas carbone ». L’ambition d’une « conférence de financement » avait émergé dès 2023, quand Clément Beaune, alors ministre en charge du secteur, s’interrogeait sur le financement des Services express régionaux métropolitains (Serm), des sortes de RER desservant les capitales régionales, annoncés fin 2022 par Emmanuel Macron.
Alors que le pays a changé, depuis, quatre fois de gouvernement et autant de fois de ministre des transports, c’est finalement à François Bayrou, flanqué du ministre Philippe Tabarot, qu’il convient de lancer ce chantier. « L’objet principal consiste à reposer les bases d’un financement robuste et pérenne, en tenant compte des mobilités alternatives », signale une source gouvernementale. Résumons à gros traits : une ressource a vocation à se tarir, la taxe sur les carburants, grignotée par le passage du parc automobile à l’électrique. Une autre ressource se profile, les recettes des péages d’autoroute, puisque les concessions autoroutières vont revenir à l’Etat à partir du début des années 2030. En arrière-plan, le gouvernement insiste sur la nécessité de « limiter la fracture territoriale », refrain connu, d’optimiser les réseaux existants et de donner la « priorité aux transports du quotidien », même si l’Etat fait l’inverse en soutenant contre vents et marées des projets autoroutiers et des lignes ferroviaires à grande vitesse.
Afin que nul n’ignore l’importance des enjeux, les travaux de la conférence « Ambition France Transports », présidée par Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat sous les présidences Chirac et Sarkozy, s’étalent sur plusieurs semaines. Quatre « ateliers » réunissent chacun une petite quinzaine d’experts, élus et professionnels. Leurs thèmes ont beau avoir été choisis, d’après le gouvernement, « selon une méthode assez inédite », leurs intitulés ne présentent aucune surprise : la mobilité dans les métropoles, le financement des infrastructures routières, l’avenir du ferroviaire et le transport de marchandises.
A la mi-juillet, lors d’un « séminaire de convergence », les organisateurs espèrent « aboutir à une vision partagée sur les grands enjeux ». La « journée de clôture » est prévue fin juillet, mais le gouvernement se réserve déjà la possibilité de décaler l’événement « à la rentrée, si on avait besoin de plus de temps ». Cette incertitude permet aussi de laisser les décisions aux successeurs, si le gouvernement devait être remplacé d’ici là.
Que faire des péages autoroutiers ?
En attendant, chaque structure constituée y va de sa proposition. L’Association des maires de France, composée pour l’essentiel des édiles des communes rurales, réclame davantage d’argent pour les routes, tandis que le Gart (Groupement des autorités responsables des transports), qui regroupe les élus concernés, demande au contraire la réaffectation des taxes versées par les usagers de la route en faveur des transports collectifs. Le Réseau vélo et marche, fort de ses 450 élus, se plaint de ne pas avoir été invité. Intercommunalités de France, 700 adhérents sur les 1254 structures existantes, demande « une nouvelle période de délibération » pour que les communautés de communes puissent « se saisir de la compétence d’organisation des mobilités ».
On peut avoir l’impression d’assister à un éternel recommencement. Déjà, en février 2023, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) avait remis un rapport préconisant des investissements ciblés. Le gouvernement avait alors annoncé le déblocage, d’ici 2040, de 100 milliards d’euros pour la régénération du ferroviaire, sous l’égide de la première ministre d’alors, Elisabeth Borne. Cinq ans plus tôt, la même, ministre des Transports, lançait les « Assises de la mobilité », un brainstorming débouchant sur la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019. Faut-il vraiment une troisième séquence solennelle, avec les mêmes acteurs campant sur les mêmes positions, alors que les enjeux n’ont pas changé, sauf l’impact du changement climatique, toujours plus pressant ?
Chacun a en tête la fin des concessions autoroutières, qui se rapproche. Les péages vont-ils être maintenus ? Pour financer quoi exactement ? Les autoroutes, les autres infrastructures routières, le ferroviaire, les mobilités alternatives telles que le vélo ? Les sociétés autoroutières considèrent que l’argent des usagers doit aller aux autoroutes. Tous les autres, notamment les élus qui se penchent sur la complexité des mobilités, des écologistes à la droite républicaine, plaident pour un transfert de recettes entre la route et les transports collectifs et moins polluants. Que les travaux d’ « Ambition France Transports » aboutissent ou non, la question pourrait être tranchée lors des prochaines échéances électorales. Dans son programme pour les législatives de 2024, le Rassemblement national proposait de nationaliser les sociétés d’autoroutes, et donc supprimer les péages, sans un mot pour le financement des autres mobilités.
Olivier RAZEMON