UE : la difficile équation budgétaire en temps troublés
L’Union européenne (UE) est confrontée à des crises multiples, qui nécessitent d’augmenter très vite ses dépenses, dont celles consacrées à la défense. Hélas, les recettes sont faibles et les budgets des États membres fortement contraints.

« Cris
de mouettes, signe de tempête », affirme un vieux proverbe de
marins. À en juger par les cris d’orfraie
poussés par les dirigeants de l’Union européenne (UE) et des
États membres lorsqu’il s’agit des dépenses et recettes
publiques, la tempête budgétaire qui se prépare doit être de
taille ! Il est vrai que dans un contexte de ralentissement
économique généralisé au sein de l’UE, de guerre commerciale
avec les États-Unis qui pèsera tant sur les consommateurs que les
producteurs, et de marche vers la guerre avec son lot de dépenses
opulentes, l’équation budgétaire devient un véritable
casse-tête.
Urgence
permanente
Les
urgences ne cessent de s’accumuler au sein de l’UE. Ainsi, face
à la poussée des partis écologistes, un Pacte vert
avait été mis sur pied pour atteindre « la neutralité
climatique à l’horizon 2050 », avec des actions
ambitieuses dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture,
des déchets et de la mobilité, suscitant parfois de vives
contestations notamment dans le monde agricole. Le tout financé par
le budget de l’Union et les crédits de NextGenerationEU,
ce plan gargantuesque, initialement doté en 2020 de 750 milliards
d’euros — 360 milliards de prêts et 390 milliards de
subventions —, qui avait vocation à stimuler l’économie après
la pandémie de Covid-19.
Depuis,
de nouvelles dépenses publiques ont été prévues pour accompagner
la transformation numérique de l’UE à l’horizon 2030, dans
le cadre d’un programme qualifié, en 2021, de « boussole
numérique ». En outre, l’exécutif européen souhaite
consacrer annuellement au moins 20 milliards d’euros de fonds
publics et privés à l’investissement dans l’intelligence
artificielle, afin d’éviter d’être définitivement relégué en
équipe nationale derrière les États-Unis et la Chine.
Et
après le coût des aides à l’Ukraine depuis 2022, voilà
l’urgence de répondre au retrait du parapluie militaire américain
décidé avec fracas par Trump. Depuis, les États européens et la
Commission jouent à qui mieux mieux dans les annonces fracassantes
d’accroissements des dépenses publiques de défense. Ursula von
der Leyen a ainsi annoncé une mobilisation européenne
jusqu’à 800 milliards d’euros sur quatre
ans, suivie
immédiatement par les déclarations enfiévrées de la France, de
l’Espagne, de la Pologne et même de l’Allemagne ! Tout cela,
quitte à déployer un peu trop
vite la menace d’une guerre inéluctable pour justifier
l’augmentation soudaine des dépenses publiques, alors que deux
mois plus tôt les caisses étaient réputées vides…
Le
budget de l’UE pas à la hauteur des ambitions
Hélas,
le budget de l’UE est loin d’être à la hauteur de ses
ambitions. À preuve, il pèse bon an mal an à peine plus de 1 %
du PIB de l’UE, financé essentiellement par trois sources
de recettes : un pourcentage du revenu national brut de chaque
État membre ; les « ressources propres traditionnelles
(RPT) » composées de droits de douane perçus sur les
importations en provenance de pays tiers et de certaines taxes ; la
« ressource TVA » équivalente à un prélèvement de
0,3 % sur une assiette harmonisée dans chacun des 27 États.
À
noter que le budget annuel de l’UE s’inscrit dans un cadre
financier pluriannuel (CFP) de sept années, afin d’anticiper et
lisser les dépenses. Mais, à chaque urgence s’ajoute une nouvelle
ligne qui, à défaut d’une véritable fiscalité européenne
directe, fait l’objet d’un appel à contribution des États
membres. Cela revient en vérité à financer les urgences
européennes par l’endettement public des États. L’émission
d’une dette commune a bien été tentée face à la pandémie, mais
l’Allemagne ne s’en est jamais vraiment
remise,
car un tel emprunt revenait à s’engager vers un fédéralisme
européen tant honni.
Le
budget des États membres corseté
Le
problème est que les États membres sont eux-mêmes confrontés à
la quadrature du cercle budgétaire, d’autant que la croissance
patine un peu partout, et en particulier dans le mal-nommé couple
franco-allemand. Dans ces conditions, le vote d’un budget réduisant
les dépenses publiques est assuré de grever encore un peu plus la
demande intérieure, au moment où l’export va terriblement
souffrir de la guerre commerciale déclenchée par Trump, guerre qui
conduira à une réorganisation des flux capitalistiques mondiaux pas
nécessairement favorable à l’UE. Quant à l’incertitude
politique et économique croissante, elle rend les chiffrages actuels
déjà caducs.
Bien entendu, tous les États de ne sont pas logés à la même enseigne, certains subissant déjà de longue date une procédure pour déficit excessif à l’instar de la France, contrairement à l’Allemagne qui a su assainir sa situation budgétaire, au prix hélas d’un sous-investissement public chronique. Quoi qu’il en soit, un appel supplémentaire aux marchés de capitaux pourrait dégrader la signature de certains États. Certes, l’exécutif européen semble disposé à exclure pour un temps les nouvelles dépenses de défense des règles budgétaires, mais l’endettement national continuera inexorablement à augmenter…