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Série d'été

À Roncherolles-sur-le-Vivier, "les carreaux que je fabrique nous enterreront"

Cet été, nous partons à la rencontre des femmes et des hommes qui font bouger l'artisanat en Normandie. À Roncherolles-sur-le-Vivier, Marie-Laure Lepage, alias Madame Carreaux, fabrique des carreaux de ciments. Une activité qui avait presque disparu de l'Hexagone. 

Marie-Laure Lepage, alias Madame Carreaux, redonne vie à un savoir-faire ancien : la fabrication de carreaux de ciments. © Aletheia Press / B.Delabre
Marie-Laure Lepage, alias Madame Carreaux, redonne vie à un savoir-faire ancien : la fabrication de carreaux de ciments. © Aletheia Press / B.Delabre

Une apparition… Dans un petit nuage de poussière, masque sur le nez, cachée derrière une grosse presse, Marie-Laure Lepage est au travail. Dans son atelier de Roncherolles-sur-le-Vivier, celle que l'on appelle désormais Madame Carreaux redonne vie à un savoir-faire presque oublié : la fabrication artisanale de carreaux de ciment.

Sa vocation est née durant la période du Covid. Celle qui pratiquait alors le métier de diététicienne se passionne alors pour ce produit porteur d'histoire et imagine faire son métier de sa fabrication. "J’ai toujours aimé travailler de mes mains", confie-t-elle. Un vrai challenge. Le savoir-faire bien français du carreau de ciment est en voie de disparition. À l'époque, ils ne sont plus que deux dans l'Hexagone à le maîtriser (et seulement quatre aujourd'hui). Et Marie-Laure tente de l'apprivoiser.

Les débuts sont rudes : six mois sans réussir à démouler un seul carreau. Un an avant de produire des pièces vendables. "C’était très dur. Je me suis demandé ce que j’avais fait. Mais je voulais y arriver", témoigne-t-elle. À force d'obstination et grâce au soutien indéfectible de son entourage familial, Marie-Laure finit par maîtriser la technique et l'adapte aux conditions climatiques normandes. Car tout entre en jeu : taux d’humidité, température, dosage des matières premières.

Un produit qui revient à la mode

La clientèle est là, car le produit revient à la mode. Architectes, décorateurs, mais aussi particuliers, s'intéressent à ses productions. Chaque carreau est unique, teinté dans la masse et moulé à la main. "Avec un motif complexe, je peux produire un peu plus d'un mètre carré par jour. Pour des motifs simples, je fais plus de deux mètres carrés par jour." Les carreaux sont ensuite séchés (et non pas cuit) pendant au moins trois semaines.

80 % de la production est utilisée dans la région. "Les carreaux peuvent être installés au sol ou en crédence. La seule utilisation que je déconseille, c'est dans les douches à l'italienne. Car même s'il est traité, le ciment reste un matériau poreux qui supporte mal une importante stagnation d'eau."

Certains clients ne regardent pas à la dépense. D'autres se contentent de petites surfaces, s'offrent un plaisir. Mais tous portent un regard tendre sur ce produit qui allie charme, esthétique et originalité. "C'est un produit qui a souvent une histoire. J'ai beaucoup de clients qui m'appellent pour reproduire des carreaux qu'ils ont découvert en arrivant dans leur maison. Et c'est assez émouvant de se dire que les carreaux que je fabrique nous enterreront."

Reproductions mais aussi création, Madame Carreaux répond à toutes les demandes. Les diviseurs en laiton, achetés au Maroc en même temps que la presse, sont complétés par de nouveaux en polymère qu'elle dessine et fait imprimer en 3D. Grâce à un simulateur qu’elle a fait développer, les clients visualisent leur projet en ligne et choisissent minutieusement leurs motifs et les couleurs. "C’est un outil indispensable. Trop de choix tue le choix, alors ça les aide vraiment."

L’avenir à construire, un carreau à la fois

Après deux ans d'activité, Madame Carreaux s'est fait une petite renommée. Mais elle espère encore améliorer le flux de production, en s'appuyant sur un carnet de commandes plus régulier. Pour cela, elle élargit sa gamme. Elle compte ainsi tester des protections antigel pour proposer des carreaux qui pourraient être installés en extérieur.

Surtout, elle poursuit ses efforts de communication. Sur les réseaux sociaux bien sûr. Mais aussi en participant à tous les évènements qui lui sont proposés, notamment via la Chambre de métiers et de l'artisanat. Elle devrait aussi prochainement être honorée du titre de Maître Artisan. En attendant, elle accueille les curieux dans son atelier “dans son jus”, où la poussière du ciment est soulevée par le geste précis de cette artiste-artisane. Un carreau à la fois.

Pour Aletheia Press, Benoit Delabre