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Apesa Normandie : «La santé mentale du dirigeant est le premier enjeu économique»

Francis Godefroy vient de transmettre la présidence d’Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrances aigües) Normandie à Maria Dufroy en novembre 2025. Il dresse le bilan de ce dispositif lancé en 2016 pour soutenir les chefs d’entreprise. Rencontre. 

Francis Godefroy dresse le bilan du dispositif Apesa lancé en 2016 pour soutenir les chefs d’entreprise en détresse psychologique. © C.G.
Francis Godefroy dresse le bilan du dispositif Apesa lancé en 2016 pour soutenir les chefs d’entreprise en détresse psychologique. © C.G.

Pouvez-vous me présenter le dispositif Apesa ?

FG. Le dispositif Apesa a été créé en 2013 par Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien, et Marc Binnie, greffier au tribunal de commerce de Saintes. Le but est d'apporter du soutien aux chefs d'entreprise en difficulté sur le plan psychologique. Nous avons mis en place le dispositif en Normandie en 2016. Ici, nous avons une particularité : normalement, il y a une cellule par tribunal, notre cellule regroupe tous les tribunaux de commerce de la région. D'ailleurs, les tribunaux de commerce de la Manche nous rejoignent à partir de janvier 2026. 
L'association est financée par la Région Normandie et la Banque de France (BDF), chacun à hauteur de 50%, ainsi que par des cotisants, comme des mandataires de justice ou des experts-comptables, pour les 50% restants. Depuis le 19 novembre, j'ai passé le flambeau de la présidence de l'association à Maria Dufroy (juge au tribunal de commerce de Rouen, NDLR). Je reste vice-président et continue de m'engager dans le dispositif, notamment dans la formation des sentinelles.

Quel est le parcours d'un dirigeant pris en charge par Apesa ?

En Normandie, le dispositif compte environ 400 sentinelles : mandataires de justice, experts-comptables, conseillers de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI)… Ce sont elles qui déclenchent l’alerte sur une plateforme nationale. En moins de 24 heures, un psychologue contacte le dirigeant. Nous en comptons une soixantaine dans la région. Les chefs d'entreprise remplissent un questionnaire. Certains comprennent la situation et souhaitent être accompagnés, mais un dirigeant sur trois s'arrête à cette étape car il a été écouté, compris, aidé, orienté.

Quelles sont les situations les plus fréquemment remontées ?

Ce sont plutôt des chefs d'entreprise de TPE ou PME, car les grandes structures disposent souvent de leurs propres moyens pour gérer ces difficultés. Le commerce, l’hôtellerie-restauration et le bâtiment sont les secteurs les plus touchés. On le constate avec les nombreuses cellules vacantes en centre-ville. Je crains que 2026 ne soit pas facile non plus. Actuellement, de nombreuses entreprises qui vivent des marchés publics souffrent d'une absence de budget. C'est assez catastrophique.

Quels sont les signaux faibles à repérer chez un dirigeant en difficulté ?

Il y a beaucoup de signaux. Il faut être attentif aux changements de comportement, à l’isolement ou encore au manque de sommeil. Il faut aussi surveiller la pensée magique, en d'autres termes le déni, qui est une forme de protection pour le dirigeant. Cela peut déborder sur la vie privée, avec un désintérêt pour la famille. Finalement, quand le souci devienne permanent...

En quoi la santé mentale est-elle un enjeu économique ?

La santé mentale est le premier enjeu économique. Comment une entreprise peut aller bien si son chef d'entreprise ne va pas bien ? Quand le dirigeant est en souffrance psychologique, les décisions importantes et utiles ne se prennent plus, la prise de décision est bloquée. Remettre la tête d'aplomb permet de reprendre les bonnes décisions, d'arrêter quand il est temps, de ne plus faire l’autruche, d’anticiper. Parler des difficultés économiques et être orienté peut être ce qui leur manquait.

En 9 ans, quel est le bilan ?

Nous avons accompagné 600 chefs d'entreprise en 9 ans, c'est dramatique. Les crises ont mis en lumière les difficultés, notamment le Covid, surtout à partir de 2022. En 2020 et 2021, les cas étaient moins nombreux grâce aux aides de l’État.
Les alertes sont plus nombreuses au tribunal de commerce de Rouen, le plus important de la région, qui compte 34 juges. Par ailleurs, nous souffrons du départ de sentinelles très actives, souvent à la retraite, et il est difficile de les remplacer.