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Avec la fermeture de Chroma Biotech, la dentelle change de teinte

La teinturerie Chroma Biotech, filiale du groupe familial dentellier Solstiss, a fermé l'été dernier. Elle n'a pas surmonté trois années de pertes cumulées à 2,5 millions d’euros. Dernière teinturerie calaisienne, sa fin donne à voir une reconfiguration déjà en route dans l’industrie dentellière de la région. Analyse.

La dentelle de Calais-Caudry voit la fermeture de Chroma Biotech. © Aletheia Press / Eléonore Chombart
La dentelle de Calais-Caudry voit la fermeture de Chroma Biotech. © Aletheia Press / Eléonore Chombart

C’est donc un Caudrésien de plus qui ferme un établissement de la chaîne de production de la célèbre dentelle de Calais-Caudry. Le groupe Solstiss a – logiquement – pris la seule décision rationnelle : liquider une entreprise qui ne pouvait survivre sans l’apport de volumes plus conséquents à teinter. En dépit d’un nom qui sonne «moderne», Chroma Biotech est le dernier avatar de nombreuses sociétés de teintures reprises, puis redressées, puis reprises, puis liquidées avec d’être reformées.

La dernière teinturerie calaisienne, qui comptait 23 salariés, n'a pas surmonté trois années de pertes cumulées à 2,5 millions d’euros sur un chiffre d'affaires dépassant difficilement les deux millions d’euros. Cette fin donne à voir une reconfiguration déjà en route dans l’industrie dentellière de la région.

Protéger ses modèles

À l’origine, Chroma Biotech s’appelait Bellier. Depuis le milieu des années 70, elle avait constitué un point d’équilibre parmi les fabricants de dentelles qui étaient à la fois les actionnaires et les clients. Ainsi, autour de la table présidée à l’époque par Pierre Noyon, jusqu’à 15 fabricants formaient le cercle du conseil d’administration. «Personne n’était vraiment majoritaire et tout le monde devait s’entendre», raconte un expert du secteur.

Dans le process de la fabrication de la dentelle, la teinturerie (qu’on appelle aussi ennoblissement) est une étape finale clé : c’est là qu’on voit la dentelle avant qu’elle ne soit expédiée aux clients. En conséquence, aucun fabricant n’aime confier ses modèles à une teinturerie dirigée par un concurrent... C’est pourquoi Calais est allé jusqu’à avoir quatre teintureries tandis que Caudry en disposait de deux (l’une chez Sophie Hallette, l’autre chez Solstiss).

Avec la chute vertigineuse des volumes à teinter aussi bien en dentelles tissées qu’en dentelles tricotées, les teintureries ont logiquement disparu avec les fabricants. Depuis 20 ans, deux teintureries perduraient : La Caudrésienne à Caudry et Chroma Biotech à Calais. La première reçoit naturellement les volumes du groupe de son propriétaire Sophie Hallette et de quelques autres caudrésiens ; tandis que la seconde recevait les volumes de Calais et les siens fabriqués à Caudry.

Demain, partager une teinturerie ?

À Calais, le dernier fabricant significatif (Darquer&Méry avec la marque Desseilles) cherchait à équilibrer les choses : «une partie de nos volumes va à Calais, une autre part à Caudry», nous disait la main sur le cœur Pascal Cochez, actionnaire principal des fabricants précités. Au final, il n’y a plus depuis longtemps assez de volumes pour faire tourner deux teintureries sans accumuler les pertes.

Si tous les professionnels en conviennent, il a fallu la démonstration par les faits que seul un établissement pouvait subsister dans ce marché. Romain Lescroart, dirigeant du groupe Sophie Hallette et actionnaire majoritaire de la teinturerie la Caudrésienne, indique sobrement : «La Caudrésienne est en capacité de prendre ces volumes». Quid de la suite ?

Va-t-on assister à une reconfiguration parmi les fabricants en partant par l’étape finale du process ? Le groupe dirigé par Romain Lescroart va-t-il ouvrir le capital de la Caudrésienne comme il l’a déjà fait avec Beauvillain-Davoine qui détient 25% des parts sociales ? «La gouvernance est très autonome à la Caudrésienne» rassure Romain Lescroart. Le quinquagénaire analyse la situation : «La teinture est le point névralgique de notre profession. C’est une occasion de nous battre ensemble et d’assurer la pérennité de la Caudrésienne». Le modèle d’une teinturerie partagée par les fabricants n’est peut-être pas si loin et pourrait donner de l’air à une industrie qui se meurt.

Pour Aletheia Press, Morgan Railane