Entretien

« Beaucoup de chefs d’entreprise expriment de l’inquiétude », Carine Jupin, directrice régionale de la Banque de France

Directrice régionale des Hauts-de-France de la Banque de France, Carine Jupin revient sur les effets de la conjoncture sur la situation financière des entreprises locales. Elle présente également les évolutions qui attendent ces dernières l'an prochain en matière de services et d'accompagnement de la part des équipes de l'institution monétaire.

« Pour 2023, rien ne laisse présager, à ce stade, une vague de défaillances d'entreprises », souligne Carine Jupin. © Lena Heleta
« Pour 2023, rien ne laisse présager, à ce stade, une vague de défaillances d'entreprises », souligne Carine Jupin. © Lena Heleta

Picardie La Gazette : Inflation, problèmes d’approvisionnement, difficultés de recrutement… Face à un environnement moins porteur, comment résiste l’activité économique dans les Hauts-de-France ?

Carine Jupin : Sur l’ensemble de l’année 2022, le constat est globalement positif. Certes, certains secteurs d’activité soit ont connu, soit continuent d’enregistrer des creux d’activité, à l’image de la filière automobile dont le poids économique est significatif dans le PIB régional. S’inscrivant dans la tendance nationale, les défaillances d’entreprises ont également sensiblement rebondi, pour revenir à leur niveau d’avant la crise sanitaire. Le phénomène touche tout particulièrement des acteurs du BTP, du commerce et de l’hôtellerie-restauration.

Pour autant, l’activité dans la plupart des secteurs est restée en croissance, tant dans l’industrie (agroalimentaire…) que dans les services marchands (activités de conseil…), comme l’a encore confirmé notre enquête mensuelle de conjoncture du mois d’octobre menée auprès de 750 dirigeants d’entreprise. D’ailleurs, la progression des encours de crédits d’équipement (+6,2% sur un an en octobre) tend à démontrer que les projets d’investissement demeurent nombreux dans la région.

Autre évolution positive, les difficultés d’approvisionnement qui ont longtemps pénalisé les sociétés industrielles semblent se résorber progressivement. En avril, près des deux tiers des industriels nous indiquaient pâtir des goulets d’étranglement observés sur les chaînes d’approvisionnement internationales depuis le début de la crise sanitaire. Cette proportion est aujourd’hui tombée à 43%. On ne peut que se réjouir de ces différents indicateurs, alors que les perspectives s’annoncent plus dégradées dans les prochains mois.

Anticipez-vous une récession du PIB régional en 2023 ?

Un ralentissement de l’activité paraît fortement probable. Une récession n’est également pas à exclure, mais elle serait limitée et temporaire. Une reprise est attendue en 2024. Dans le cadre de leurs échanges avec les équipes de la Banque de France, beaucoup de chefs d’entreprise expriment de l’inquiétude face à l’envolée des prix de l’énergie et au risque de délestage, notamment.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que 40% des dirigeants évoluant dans l’industrie déclarent redouter un impact «significatif», dont 17% un impact "fort" de la crise énergétique sur leur activité et leurs marges dans les mois qui viennent. Et même si les carnets de commandes restent dans l’ensemble bien remplis, beaucoup d’acteurs économiques s’interrogent quant à leur capacité à continuer de répercuter leurs propres hausses de coûts sur leurs clients.

Dans quelle situation financière les entreprises abordent-elles ce retournement conjoncturel ?

Chaque année, la Banque de France attribue une cotation aux entreprises réalisant au moins 750 000 euros de chiffre d’affaires, qui correspond à une appréciation de leur capacité à honorer leurs engagements financiers sur un horizon de un à trois ans. Dans les Hauts-de-France, elles sont quelque 22 000 à être ainsi cotées par nos services. Dans la mesure où cette évaluation repose notamment sur les derniers bilans déposés, les cotations actuelles prennent largement en compte les résultats financiers de l’exercice 2021 ainsi que des informations collectées dans le cadre des entretiens avec les dirigeants.

Or, les cotations sont en amélioration par rapport à l’année précédente et reflétaient un renforcement général des structures financières et des marges sur l’année 2021. Sous l’effet combiné de l’inflation qui pèse sur les marges, des comportements de sur-stockage pour faire aux difficultés d’approvisionnement et de la fin des dispositifs d’aides publics mis en place au début de la pandémie de Covid-19, nous constatons il est vrai des pressions sur la trésorerie de certaines entreprises. Cependant, la plupart d’entre elles ont les moyens de résister.

Redoutez-vous néanmoins une vague de défaillances l’an prochain ?

À l’échelle des Hauts-de-France, nous en avons recensé 2 666 à fin octobre en cumul depuis le début d’année, un niveau classique sur une base de comparaison historique. Même s’il pourrait continuer de remonter dans les mois qui viennent, rien ne laisse toutefois présager, à ce stade, une vague de défaillances. Au niveau de la Médiation du crédit et de la Médiation des entreprises, nous n’observons en effet pas d’augmentation significative du nombre de sollicitations.

En ce qui concerne les Prêts garantis par l’État (PGE), 26% des sommes levées par les entreprises régionales ont déjà été remboursées. Et sur le capital restant dû, les demandes de restructuration sont toujours limitées. Enfin, quelques nouvelles alertes ont été détectées par "Signaux Faibles", l’outil prospectif qu’utilisent Bercy et les services déconcentrés de l’État pour repérer le plus en amont possible les entreprises en difficulté et les aider.

Dans le cadre de ses missions d’accompagnement des entreprises, la direction régionale de la Banque de France prévoit-elle d’innover en 2023 ?

Notre rôle consistant à faciliter le financement de l’économie, nous allons continuer d’accompagner au plus près les particuliers – surtout dans un contexte marqué par une hausse des déclarations d’incidents de paiement – comme les entreprises. Au rang des évolutions attendues, la dimension RSE va être intégrée à la cotation des entreprises. Face aux risques associés au changement climatique, la Banque de France a annoncé son intention de développer un indicateur climat, qui permettra notamment d’établir des corrélations entre la solidité financière des entreprises et leur niveau de maturité en matière de transition environnementale.

Les Hauts-de-France faisant partie des régions pilotes, nous allons rencontrer l’an prochain plus d’une centaine de dirigeants pour échanger sur cette thématique. Un «portail dirigeants» va également être crée en 2023. À partir de cet espace personnel, les dirigeants d’entreprises auront un accès centralisé à nos services : cotation, services des correspondants TPE-PME et Start-up, des informations sectorielles…